Le Zigoto (Joe Krapov)
Pour qui fréquente les dictionnaires volumineux le mot « zigoto » arrive bien tard. La lettre Z est en effet la dernière de notre alphabet.
Si on considère les vocables qui contiennent les voyelles ou plutôt les sons i, o, o dans cet ordre, le zigoto vient après les biscoteaux, le quiproquo, le rigolo, le rizotto et le sirocco.
Il y a fort à parier que le zigoto se verra affublé d’une notation « pop. » pour populaire ou « argot. » pour argotique. Quand un mot est argotique il est rarement utilisé en art du roman, du moins dans ce genre de littérature qu’écrivent des zigotos prénommés Marcel ou Michel et devant laquelle des critiques littéraires s’extasient comme s’ils venaient d’en prendre une pilule.
Par bonheur il nous est encore permis de fréquenter d’autres écrivains dont la langue est plus verte que celle de Monsieur Proust et plus colorée que le vomi du sieur Houellebecq.
Retournons donc à nos sources populaires (Frédéric Dard, Léo Malet, Pierre Perret, Alphonse Boudard et les auteurs de la Série noire) pour en savoir plus sur le zigoto.
A moins d’un quiproquo le zigoto est un mec plutôt rigolo qui mange du rizotto pour avoir de gros biscoteaux et sait distinguer Sidi Rocco de Sidi Freddy. Plus sérieusement le zigoto est juste un bonhomme qu’on ne connaît pas et qui a (ou qui fait) quelque chose qui attire l’attention. Il n’est, à priori, pas de votre monde.
Les synonymes de zigoto sont nombreux, beaucoup plus en argot que dans le français soutenu.
En argot on peut dire un gus, un gazier, un mec, un mecton, un zigue, un zigomar, un m’as-tu-vu, un rigolo. Sinon en français c’est un gars, un type, une personne et vous êtes souvent obligé de préciser votre description en ajoutant un adjectif ou une proposition relative : un gars bizarre, un type étrange, un individu louche, une personne originale qui doit trouver rigolo d’associer biscoteaux, quiproquo, rizotto et sirocco dans une seule et même phrase. Ce peut être aussi un frimeur, un fanfaron, un extravagant.
Terminons par deux considérations importantes :
- En argot le zigoto et ses synonymes n’ont pas de féminin. On ne dit pas une zigotote, une gusse, une gazière, une mecque, une mectonne, une zigue, une zigomare. On emploie un tout autre mot : une moukère, une gonzesse, une greluche, une meuf, une pépée. Il y a cependant dans ces vocables-là un jugement de valeur assez péjoratif et on ne retrouve pas vraiment le côté étrange ou hors norme du zigoto. Peut-être faudrait-il dire une allumée ? Une rigolote ? Une louloute qui apporte comme un coup de sirocco ? Une metteuse de pieds dans le plat de rizotto ? Les dames et demoiselles n’ont d’ailleurs pas plus de chance en français soutenu. Une garce, une typesse, une individue, ça n’existe pas. Si ? J’ai de la chance, personnellement je n’en connais pas ! Le féminin de zigoto doit être plutôt une drôle de fille, une fille bizarre, une drôlesse ?
- Il existe des zigotos partout dans le monde :
en Turquie le zigoto ment ;
en Syldavie le zigoto carre son sceptre dans une vitrine ;
en Sarthe on surnomme l’ami Vegas « le zigoto du Layon » parce qu’il a abandonné sa Bourgogne natale aux riches vignobles pour venir s’installer dans un pays où l’on ne boit que du Jasnières ! ;
en Allemagne le zigoto Klemperer ;
au Japon le zigoto rit au nô de son larynx de joueur de go pas logique ;
au Japon encore notre amie Tokyo en ramène des tas de Kyoto dont André son gorille ;
en Angleterre, d’après Jacques Bodoin, Philibert zigoto the blaqueboharde ;
dans le Nord-Pas de Calais on l’appelle « agosil » ;
en Afrique il porte un pagne et est appelé « zoulou » ;
dans les années quarante, à Paris il portait des knickerbockers et dansait le swing sous le nom de « zazou ».
Bref le zigoto est un drôle de zèbre. Un type dans mon genre, en fait !