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Le défi du samedi
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25 novembre 2023

Les « quant à soi » (Pascal)


Qui a tué Thomas Carrera, seize ans, qui est responsable et pourquoi est-il mort ?  

« C’est pas moi », dit le comité des fêtes du village, débordé par le carnage. « Nous, on avait tout organisé dans les règles, on avait même pris des vigiles, c’était l’heure de la fin du bal, on rangeait les tables et les chaises. Ici, c’est rural, personne ne pense à mal. Qui aurait pu imaginer que tout ce malheur allait arriver ?  C’est pas moi qui l’ai fait tomber, vous ne pouvez pas m’accuser… »

« C’est pas moi », dit la police indifférente, en arrivant toutes sirènes hurlantes. « On n’est pas assez, on ne peut pas être partout et tout surveiller ; aujourd’hui, on est plus contrôlés que ceux que l’on contrôle. Sur les routes, dans les fêtes, en ville, au bal, même pendant les mariages, tous les samedis soir, c’est le jeu de la roulette russe. Demandez donc aux Urgences ! C’est pas moi qui l’ai fait tomber, vous ne pouvez pas m’accuser… »

« C’est pas moi », dit son assassin, le couteau encore entre les mains (à cette heure, il court encore). « Moi, je viens de la cité, je ne sais pas lire, à peine écrire, et si j’ai du fric dans les poches, c’est que je me débrouille dans le business. C’est la société qui m’a mis en place ; elle a besoin de moi, et je ne suis pas responsable de mes actes. C’est pas moi qui l’ai poignardé, vous ne pouvez pas m’accuser… »

« C’est pas moi », dit d’une seule voix tout le système judiciaire, comme si c’était lui qui était jugé dans cette affaire. « Nous, on est débordés par les dossiers ; on enquête, on tergiverse, on renvoie, on démêle, on atermoie, on applique les peines selon le code, on pose les bracelets, on remet en liberté. Vous savez, les prisons sont pleines de vautours et les pires voyous sont toujours ceux qui courent. C’est pas moi qui l’ai fait tomber, vous ne pouvez pas m’accuser… »

« C’est pas nous », disent les citoyens, en lisant le journal du matin. « Aujourd’hui, on vit dans un monde où on laisse bouffer les moutons par le loup, et on indemnise le berger. Dans la rue, c’est pareil. On vit dans un pays où on condamne les racistes et où on laisse en liberté ceux qui les ont fait devenir. Il n’y a plus de français, il n’y a que des communautés. On nous dit que tout est normal, que tout est sous contrôle, mais ce ne sont que des foutaises. Aujourd’hui, on est tous endeuillés ; on baissera la tête, on compatira, on fera une marche blanche, comme l’habituel troupeau de moutons. C’est pas nous qui l’avons fait tomber, vous ne pouvez pas nous accuser… »
 
« C’est pas moi », dit la Presse, en photographiant les habitants, sans nulle délicatesse. « C’est notre gagne-pain d’argumenter les faits divers et quand il y a une rixe (« un meurtre », voudrait-on lui balancer à la figure), on vient faire notre travail. Les voyous d’hier sont les jeunes défavorisés d’aujourd’hui, on n’est pas là pour condamner, seulement pour commenter. Hier, je « faisais » les inondations, aujourd’hui, c’est cette altercation, et demain, sans doute, ce sera un accident de la route. C’est pas moi qui l’ai fait tomber, vous ne pouvez pas m’accuser… »   

« C’est pas moi », dit le ministre récitant son sermon au cérémonial, en arrivant par le premier avion de la capitale. « Ce n’est pas une attaque terroriste, c’est moins grave… Je le clame ici, je m’engage ! Nous allons tout mettre en œuvre pour retrouver les auteurs de cette tragédie ; l’enquête est en cours et à ce stade des investigations, etc. Toutes nos pensées vont vers la famille, etc.

« C’est un peu moi », dit l’anonyme lecteur, en n’osant pas regarder sa ridicule carte d’électeur. « J’ai mal voté pendant des décennies, je ne pensais qu’à ma gueule, à mes congés payés et, par habitude, je suis devenu veule.
De la peine, il y en aura toujours plus pour la famille, que celle que le tribunal infligera à son meurtrier. Lui, en prison, il se targuera d’avoir tué ; croupissant dans le luxe carcéral, il recevra plus de visites que le jeune Thomas allongé sous la dalle. Le mort est toujours perdant. Ni en la police, ni en la politique, ni en la justice, ni en son prochain, je n’ai plus foi en rien. Jeune, sous le préau, je croyais en mon drapeau, que la guerre de mes parents allait m’affranchir de ce fléau, mais ça n’en finira jamais, et les loups se régalent… dans la bergerie de la France… »

Qui a tué Thomas Carrera, seize ans, qui est responsable et pourquoi est-il mort ?  


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Commentaires
T
heureusement que joe a eclaire ma lanterne !!
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N
ah ben c'est malin Joe a tout balancé "c'est lui alors ?" :)
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J
Je signale juste, en tant que "connaisseur de chansons" la référence sous-jacente ou plutôt syntaxique à l'aussi excellent Graeme Allwright qui a traduit en français en 1966 cette chanson de Bob Dylan.
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M
Oh Pascal, je me livre un combat intérieur pour ne pas accepter tout haut ce que tu écris. Comment vivre avec la désespérance ? Je pense à tous les jeunes sur cette terre et je veux encore croire que des solutions éducatives peuvent être apportées au chaos actuel, pour nos enfants, nos petits enfants. Je suis dépassée par la cruauté stagnante, omniprésente, imprévisible.
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W
Oui, nous oublions trop facilement que nous avons notre part dans la responsabilité collective !
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Y
Quelle acuité pour commenter la triste réalité de notre pays ! Je traduis pour ma part : tout le monde s'en fout. Si je ne pensais pas à mes enfants et petits enfants et à ce qu'ils vont devenir, je me réjouirais presque d'être vieille et ainsi avoir peu d'avenir.
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K
Sujet brûlant qui enflamme l'actualité pour quelques jours... et qui, comme les autres sujets sera vite oublié, comme à chaque fois. Toutes mes pensées vont à ce jeune garçon, à sa famille et à ses amis dévastés. Tu dis très bien les choses, je suis entièrement d'accord avec toi, Pascal.
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