La cuisine de Nini (Yvanne)
J'adorais la cuisine de Nini. Elle savait des recettes léguées par sa mère qui les tenait elle-même de sa mère. Pas besoin de cahier. Elle avait tout dans la tête et elle ne se trompait jamais. Ses plats étaient toujours assaisonnés à point. Il n'y manquait pas un grain de sel ou autres épices ou herbes. Et les plats qu'elle préparait tout naturellement, sans même y penser semblait-il puisqu'elle vaquait à d'autres occupations tout en faisant sa cuisine, étaient toujours excellents.
Elle avait l'art de vous mitonner par exemple un civet de lapin - de sa basse cour - aux cèpes auquel nul ne pouvait résister. Elle faisait revenir la viande coupée en morceaux dans sa cocotte en fonte noircie par les flammes, les ans et l'usage, sur un trépied posé sur le feu de bois du cantou. Après avoir préparé la sauce, ajouté les champignons cuits à part et d'autres ingrédients, elle mettait le récipient sur un lit de braises. La préparation chantonnait là doucement une bonne partie de la matinée. Elle accompagnait le mets de tourtous – galettes de sarrasin – et sans honte vous vous resserviez tellement c'était irrésistible.
A la campagne, il y a encore peu, toutes les femmes cuisaient dans le cantou ou sur la cuisinière à bois. Les plats avaient un goût spécial que je n'ai jamais retrouvé depuis. Même en m'appliquant à copier exactement les recettes. La cuisson sur le gaz ou les plaques électriques ne donne pas ce parfum et ces saveurs si particulières. Très loin de là.
Dans la souillarde de Nini tout un mur était occupé par un tableau porte ustensiles. Y étaient accrochés casseroles, poêles, passoires, louches, passe purée etc...Il y avait aussi sa planche à découper en bois. Elle était très épaisse avec une sorte de manche percé au bout pour la suspendre. Elle était légèrement creusée en son milieu certainement par l'usure mais cela facilitait le travail et évitait le gaspillage. Elle avait tellement servi qu'elle était entaillée partout sur son dessus.
Il est un autre plat préparé par Nini qui ronronnait aussi tout le matin sur la braise : le lapin farci aux carottes. Celles -ci étaient confites, légèrement caramélisées et fondaient dans la bouche mais la farce...Ah, les farces de Nini, inimitables ! Le pâté de pommes de terre limousin contenait également ce farci. Pas de chair à saucisse. Ça non, hérésie ! Mais du lard, du bon lard de son cochon.
Je ne perdais pas une miette de l'opération quand j'étais présente lors de l'élaboration dudit farci. Nini coupait en petits morceaux du lard gras de son saloir – tout le monde dans les villages tuait son cochon – ainsi que du lard de poitrine fumé dans le cantou. Elle posait le tout dans le creux de sa planche et à l'aide d'une hache minuscule – pas de hachoir électrique – là aussi une hérésie ! délicatement elle émiettait la viande à laquelle étaient ajoutés oignons, échalotes et ail finement hachés eux aussi. Elle versait ensuite tout cela dans un saladier, y ajoutait du pain trempé dans du lait, un œuf ou deux, de la crème, du poivre et du persil, beaucoup de persil. Pas de sel, le lard étant déjà salé. Elle mélangeait bien. Ça sentait bon. Même cru c'était un délice. On était tenté de lécher le plat comme pour les gâteaux avant de le laver. Une fois cuit, encore un mets pour lequel on se serait damné.
Nini, âme généreuse et simple, a ainsi gâté sa famille tout au long de sa vie laborieuse. Elle a quitté ce monde depuis plus de dix ans. C'était une sainte femme et elle a mérité le Paradis. Prépare-t-elle des farcis Là-Haut ?