Dame Brunehilde de Comborn (Yvanne)
L'ancienne forteresse de Comborn s'érige en majesté sur un éperon rocheux. Elle surplombe une boucle de la Vézère, rivière aux eaux sauvages et tumultueuses. Ici, vécurent durant des siècles les seigneurs de Comborn, race féodale à l'esprit guerrier, tyranniques et puissants.
Archambault, vicomte de Comborn reçoit le droit de justice sur d'immenses territoires. Il chasse et sème la terreur partout où il passe. Toutefois il est pieux et distribue de somptueux dons aux abbayes voisines. Sans doute pour que les moines prient pour lui. Il pense ainsi racheter ses fautes et méfaits. Il choisit, à 20 ans de prendre pour épouse dame Brunehilde de Turenne qui lui apporte dans sa corbeille de noces une fortune conséquente et de nombreux biens mobiliers et immobiliers.
Dame Brunehilde, dont les longues nattes blondes encadrent un visage pâle et mélancolique, aux yeux bleus immenses, semble accepter le sort qui est le sien : être la compagne d'un homme au caractère ombrageux qui la néglige en prenant d'innombrables maîtresses. Et ce jusque parmi les dames de compagnie de la malheureuse vicomtesse. Elle s'ennuie mortellement surtout au cœur de l'hiver où elle reste prostrée près de la grande cheminée de sa chambre. Les douceurs de son château d'enfance dans le bas pays lui manquent. De plus, elle semble bréhaigne ce qui la disqualifie aux yeux de son époux qui souhaite ardemment un héritier.
Archambault consent, à la demande de sa femme, dont il constate subitement le déclin, à organiser de grandes fêtes au château. L'on y rencontre de fameux troubadours tels que Bertran de Born, Gaucelm Faidit et bien sûr Bernard de Ventadour. Tous vantent les beautés éthérées de la jeune femme et composent pour elle chansons et poèmes.
Brunehilde revit, s'épanouit et l'on voit bientôt son ventre s'arrondir. Un miracle ! Le vicomte la couvre de cadeaux. Cependant des rumeurs ne tardent pas à circuler parmi ses hommes : on aurait vu à maintes reprises Bernard de Ventadour sortir furtivement des appartements de la dame. Soupçonneux, Archambault ordonne un jugement par ordalie à la naissance de l'enfant. On emmène le nouveau né au bord de la Vézère, le pose sur un bouclier qui va dérivant sur les eaux tourmentées de la rivière. Bientôt le modeste batelet est englouti : l'enfant est donc un bâtard. Le vicomte, fou de rage, convoque Brunehilde et pour la punir de son adultère présumé - il a droit de châtiment - lui tranche la main droite. La jeune femme réussit à s'échapper et plus personne ne la revoit jamais.
Peu de temps après, les villageois des alentours demandent audience au vicomte. Ils sont effrayés et sollicitent son aide. Une bête, sans doute une louve, rôde dans les environs le jour et la nuit. Ils affirment que c'est une créature du Diable à la puissance infernale qui s'en prend surtout aux petits bergers et bergères gardant leurs troupeaux. Elle ne les tue pas mais les enfants apeurés hurlent tant qu'ils font fuir l'animal sans qu'elle ne puisse jamais les approcher. Le vicomte convie tous les seigneurs du voisinage et organise une battue. L'animal traqué ne peut s'échapper. L'un des chasseurs plonge sa dague dans son poitrail. C'en est fini. Il lui coupe la patte droite qu'il conserve dans le sac en cuir qu'il porte à la ceinture. Ce sera un trophée à exhiber à Comborn.
Lors du banquet qui suit la chasse fructueuse, le chasseur victorieux sort soudain de sa besace la patte de la louve. Le silence se fait dans la grande salle suivi d'exclamations de surprise et d'horreur. Une main humaine apparaît et Archambault, très pâle, reconnaît l'anneau de mariage qui ornait le doigt de son épouse. C'est Dieu qui le frappe à son tour. Il s'enferme dans sa forteresse et meurt peu après de démence. Il n'a pas d'héritier. Ainsi s'éteint la race des seigneurs de Comborn en Corrèze.