Heureux les pauvres ! (Yvanne)
Alors Père François te voilà enfin !
- Oh pas de mon plein gré Saint Pierre. Je serais bien resté un peu plus en bas. J'étais bien tranquille l'été assis sur le banc devant ma porte à fumer ma pipe et l'hiver au chaud dans mon cantou.
- Ah ça, tu te la coulais douce mon bon. Mais tu as coûté assez cher à la sécu et à ta caisse de retraite. Si je fais le calcul, tu as travaillé une quarantaine d'années à peine et tu as profité 40 ans. Et même un peu plus. Bref, à 95 ans il était temps de calancher. Et de rendre des comptes.
- Rendre des comptes ? A qui ? J'ai pas de compte à rendre.
- Tu vas te confesser et ne me fais pas le coup de ton homonyme.
- De qui vous parlez ? Du pape ?
- Te fous pas de moi. Tu n'améliores pas ton cas. Raconte plutôt ton passage sur Terre.
- Y a pas grand chose à raconter. Et puisque vous savez tout vous n'ignorez pas que j'ai travaillé dur. Et vous pouvez penser ce que vous voulez, sauf votre respect, ma retraite je l'ai bien méritée.
- Hum hum tu étais facteur il me semble...
- Oui et sûrement pas un petit travailleur tranquille. J'aurais voulu vous y voir sur la bécane avec des sacoches pleines de courrier. Sans compter la grosse musette sur le dos. Et dans les Monédières (montagnes corréziennes) ça grimpe je vous dis que ça.
- Peut être peut être mais on te récompensait bien dans les villages. Le petit canon ou le café sur un coin de table et...la pièce. Surtout la pièce !
- Oh la pièce la pièce ! Ils sont pas très généreux les paysans. Tous des grippe-sous.
- Hein ? Quoi ? Tu oses ? Tu ne manques pas d'air François.
- Pourquoi vous dites ça ?
- Quand je pense que tu laissais trimer cette pauvre Bernadette sans jamais lui donner un sou ! Pendant que tu amassais, elle tirait la langue. Tu trouves que c'est chrétien ça ?
- Oh oh comment ça, elle tirait la langue ? Elle avait l'argent du marché avec ses volailles, ses lapins, quelques légumes du jardin. Je lui demandais rien moi. Mais elle, elle me réclamait une partie de ma paye et je lui ai jamais refusé.
- Encore heureux ! Il fallait bien qu'elle règle les factures et tout le reste. Et qu'est ce que tu faisais de tes pourboires ? Dis-moi un peu. Parle-moi de la boîte à sucre que tu cachais dans ton verger. Elle contenait quoi la boîte à sucre ? Des images pieuses ? Tu peux te gratter la tête. Tout le monde admirait tes pommes d'un jaune... Oui c'est ça d'un beau jaune d'or. Tu ne t'aies jamais demandé pourquoi elles avaient cette jolie couleur ? Non bien sûr tu ne voulais pas savoir. J'avais beau te mettre ton péché sous le nez rien n'y faisait.
- Vous allez pas me dire que c'est un péché d'être prudent ! Moi les banques, les assurances tout ça j'avais pas confiance. Mon argent c'était mon argent et je le plaçais où ça me faisait plaisir. Vous êtes là à me faire la morale mais nom de d.oh pardon ! J'aimerais bien savoir si vous faîtes de même avec tous ces magouilleurs de politiques. Et même les religieux tiens. Il paraît que le Vatican...
- Suffit.
- Oui c'est ça. Je préfère me taire. Mon argent je l'avais pas volé. Et puis hein il fallait bien mettre un peu d'oseille de côté si on voulait en avoir devant soi.
- Ça va. Laisse les aphorismes à Joe Krapov. Il s'en sort mieux que toi.
- C'est qui celui là ? Un russe ? Pas un copain à Poutine tout de même ? Vous n'oseriez pas en parler avec tout ce qui se passe. Que d'ailleurs vous pourriez dire à votre patron d'y mettre le holà ! Si c'est pas une honte de laisser faire des choses pareilles.
- Change pas de sujet. Je te trouve sacrément gonflé François de me dicter ma conduite toi qui as ignoré toute ta vie la misère d'autrui. Pas comme ta femme cette pauvre Bernadette qui faisait la charité comme elle pouvait à ton insu. Morte trop tôt. Usée. Tu te doutes bien que le bon Dieu l'a reçue au Paradis.
- C'est bien normal. Elle allait à Lourdes souvent . Et d'ailleurs je lui demandais de prier pour moi. Elle peut vous le dire. Vous savez, moi, les bondieuseries...c'est pas trop mon affaire.
- On va y venir. Alors combien de louis d'or et de napoléons dans ta boîte à sucre ?
- Faut pas exagérer Saint Pierre. Une dizaine tout au plus.
- Menteur va ! Tu crois que je ne te voyais pas le dimanche pendant que Bernadette – cette sainte femme - était à la messe ? Tu t’empressais de déterrer ton magot, d'étaler ta fortune sur la table de la cuisine, de compter et recompter. A en attraper le tournis. Tu n'es qu'un pitoyable grigou. Tu n'as pas suivi l'exemple de ton saint patron qui a été heureux sans le sou. Tu es bien avancé. Tu sais quoi mon brave : c'est Jeantou ton voisin qui a récupéré ton trésor.
- Le Jeantou ? Pas possible ! Pas lui, pas lui. Comment il a fait ? C'est pas un honnête ça non ! Vous voulez que je vous raconte ce qu'il a fait pendant la guerre ?
- N'aggrave pas ton cas. Lui non plus ne l'emportera pas au Paradis. Il ne va tarder à rappliquer d'ailleurs. Tu vas rester au purgatoire jusqu'à ce qu'il arrive. Je suis curieux de voir comment vous allez vous expliquer tous les deux. Le bon Dieu me doit bien une récréation avec tout le travail que je fournis. Et je n'ai pas la pièce moi !