D comme Dracul (Adrienne)
- Demain, dit Violeta, on va se lever tôt parce qu’on a une longue route à faire.
Nous on est d’accord. Ceux qu’il faut attendre, c’est Violeta et son mari, toujours à se précipiter dans une queue, dès qu’ils en repèrent une, pour acheter un paquet de cigarettes.
- Ce matin, dit Violeta, il faut beaucoup manger, parce qu’on ne va pas s’arrêter en route et on ne va arriver en Bucovine que ce soir.
Là on n’est pas d’accord. Prendre un bon petit déjeuner ne nous empêchera pas d’avoir faim à midi et l’Homme, la faim le rend de très mauvaise humeur.
- Pas question! dit-il fermement.
- C’est que, tente d’expliquer Violeta, on va traverser un territoire magyar et là, on ne nous aime pas. Si on s’arrête, ils vont voir à notre voiture qu’on vient du Dolj et on va sûrement avoir des problèmes!
Parce que Violeta, depuis la chute du mur de Berlin puis celle de leur Conducător, s’attend à tout moment, en cet été de 1990, à une guerre civile: elle ne peut pas croire que les minorités allemandes ou hongroises accepteront de rester roumaines.
- Pas question! répète l’homme. A midi, on s’arrête pour manger.
C’est ainsi qu’on a traversé les Carpates, Violeta avec la peur au ventre, son mari espérant que sa voiture ne retombe pas en panne comme elle l’avait déjà fait le matin même. Qu'on a longé le château de Bran mais qu'on n'a pas pu y faire halte - Je te raconte l'histoire, a dit Violeta, mais l'histoire on la connaissait. Qu’on s’est arrêtés à Târgu Mures (70 000 magyarophones) et qu’au grand étonnement de Violeta les gens étaient comme elle.
Gentils et accueillants.
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L’Adrienne a laissé un gros bout de son cœur en Roumanie