Coin-coin cuisine (Vegas sur sarthe)
«Si j'avais eu un robot... j'ai besoin d'un robot … quand j'aurai mon robot».
Combien de fois avais-je entendu cette litanie venant de la cuisine où Germaine officiait en légitime femme au foyer.
Si je m'étais finalement laissé convaincre c'est que Germaine sait être convaincante; donc après trois jours de grève du sexe je consentis à accéder à son désir d'adopter un robot.
Bien qu'elle partage la vie d'un esclave depuis quarante ans il lui fallait dominer en sus un androïde connecté, un engin « aux tomates » comme j'aimais lui faire remarquer avec cet humour qui caractérise son esclave de mari.
Ce à quoi elle répondait en affirmant qu'un robot ne cuisine pas que des tomates mais une foule de choses dont j'ignorais l'existence comme tout ce qui se cache derrière la porte de la cuisine.
Je me rendis sans grand entrain au rayon des robots d'un grand magasin où un spécialiste en robotique-informatique-bureautique-télématique – intitulé d'un badge au nom de J. Prévert – m'assaillit de questions saugrenues.
J'ignorais qu'il fallait une connexion internet dans une cuisine pour pétrir, concasser, mijoter, battre, fouetter, râper, trancher, émincer, mixer, émulsionner, me gonfler et me bassiner.
En fait un robot a beau être qualifié d'intelligent, il lui faut du wifi pour cogiter.
Quand on s'appelle Prévert, on ne devrait pas ignorer la célèbre citation « le progrès c'est trop robot pour être vrai » mais ce spécialiste n'en avait cure et je me gardai bien d'étaler ma science.
J'appris une foule de choses comme le niveau sonore de 80 décibels d'un robot en mode pétrissage, ce qui est bien inférieur à celui des grognements de Germaine en mode presse-purée manuel !
J'allais apprendre encore plein de trucs quand j'ai eu le malheur d'évoquer les Guides d'achat et les « communautés » d'utilisatrices sur internet !
J. Prévert – spécialiste en robotique culinaire – s'éclipsa en prétextant une urgence et je ne le revis jamais.
Livré à moi-même, encerclé par les bras, les spatules et les fouets d'une forêt d'androïdes connectés, j'échappai de justesse au lynchage en rampant jusqu'au rayon qui se trouvait être celui du Bien-être.
Là, entre un coussin de massage shiatsu et une lampe de luminothérapie, un joli petit canard rose, vibrant et sans fil me faisait de l'oeil.
Je m'assurai qu'il ne nécessitait pas de wifi et fonçait à la caisse.
Après tout, Germaine avait dit robot sans préciser culinaire … et puis un canard laqué – même rose – ça n'est pas hors sujet.