Les petits bouchons (Yvanne)
Vous ne devez pas savoir mes amis de plume – mais non, vous ne pouvez pas savoir – Voilà : je suis atteinte d'une maladie incurable. Pas très grave mais hélas chronique. Je suis frappée de champignonnite aiguë. Vous connaissez ? Ce trouble obsessionnel affecte particulièrement – allez savoir pourquoi – la plupart des Corréziens. Quitte à paraître vraiment foldingue j'aime ma maladie. Mieux : je l'adore ! Elle se manifeste par des fourmillements dans les jambes et des rêves, voire même des hallucinations. Ils me hantent quand dans l'air, flotte cette sacrée odeur imposante créée par mon imaginerie mentale olfactive. Celle-ci se met alors à fonctionner à plein régime. Je vous le dis : je les sens, je les devine, les champignons. Bien entendu il faut avant tout se référer aux indices précurseurs : les traces blanches appelées joliment fleurs qui apparaissent sur la terre humide. Elles sont le signe infaillible de l'imminence de la poussée. Et puis il y a la lune. Très important la lune. Mais je ne vais pas m'attarder sur ce sujet au risque de vous ennuyer pour de bon !
Quand tout concorde je me prépare pour partir en chasse. Car il s'agit bien de chasse. Sans fusil évidemment. Les champignons ici ce sont les cèpes. Les autres espèces sont nommées par leur nom. Enfin celles que l'on ramasse et il y en a peu : girolles, coulemelles, trompettes, pieds de mouton, chanterelles et les rares et fameuses oronges. Les cèpes, il faut savoir les débusquer tout comme le gibier. Il est primordial de ne rien oublier pour la traque : bottes en caoutchouc, couteau, panier ou poche, clayettes quand on espère une bonne récolte et surtout le bâton.
Tout comme j'ai un bâton pour les randonnées, j'utilise un bâton bien spécifique pour chercher les champignons. Il faut qu'il soit solide, les bois étant très souvent vallonnés et ça grimpe...Mon « outil » à toute épreuve est taillé pour cela dans le houx.
A l'approche de « mes coins » - chacun les siens – des démangeaisons cryptogamiques commencent à m'envahir et la fièvre monte. La forêt est dominée par des effluves suaves et prégnants. De très bon augure. Je fonce. L'œil rivé au sol, je cherche. En voilà un dans la mousse puis un peu plus loin, deux autres à peine visibles derrière des branches de châtaigner. Mon bâton m'est bien utile pour écarter les ramures. Je m'accroupis pour les cueillir délicatement et tout en enlevant les brindilles qui s'accrochent j'examine attentivement les alentours.
Mon panier, garni de fougères rousses, se remplit petit à petit. Je ne vois pas le temps passer. Et je ne pense à rien, trop occupée à sonder les environs. Le meilleur moment, quand il se produit, c'est la découverte d'une kyrielle de petits bouchons, têtes brunes serrées les unes contre les autres. Ici on dit avoir trouvé un nid. C'est le graal ! Cela n'arrive pas très souvent mais quand je découvre de tels trésors, un sentiment de pure joie me submerge. Je les prends un par un, doucement et je les respire. Posés avec précaution sur le dessus de ma corbeille d'osier ils ont fière allure.
Hélas, leur vie est courte. On ne peut pas garder les cèpes trop longtemps. Les petits mignons vont finir à la casserole mais ils n'ont pas dit leur dernier mot : ils terminent en beauté en embaumant toute la maison et le voisinage en prime.