Et là où tout se révèle (Clio101)
Corentin et Sophie se dirigeaient vers le logement de Cassandre sans échanger un mot.
Lui d’un pas assuré et triomphal.
Elle plongée dans son agacement et ses réflexions.
Il ne leur fallu pas longtemps pour se trouver devant la porte cochère d'un immeuble haussmannien du 17ème arrondissement. Sophie allait sonner à l’interphone quand la porte s'ouvrit sur Charles, engoncé dans son éternel costume trois pièces et cravate.
Habituellement il avait un air perpétuellement indécis, incapable d'avoir la moindre idée personnelle. Aujourd’hui il semblait plutôt désemparé.
- Salut Sophie, dit-il d’un ton lugubre. Tu es venue pour Cassandre j’imagine. Tu auras sans doute plus de chances que moi. Elle ne veut voir personne. Et celui-là c’est qui ?
Charles venait de s’apercevoir de la présence de Corentin. Celui-ci, après l’avoir toisé de haut en bas, allait ouvrir la bouche quand Sophie lui coupa l’herbe sous le pied.
- Charles, je te présente Corentin, un gars qui était à la soirée avec nous. Corentin, voici Charles le fiancé de Cassandre, répondit-elle en appuyant bien sur le terme.
Charles sourit tristement.
- Oh, fiancé est un bien grand mot pour le moment. Je ne pense pas que Cassandre soit encore prête à se marier.
En entendant ces paroles Corentin se rengorgea, prêt à annoncer à son rival que le cœur de Cassandre lui était désormais dévolu. Mais encore une fois Sophie l’interrompit.
- Je sais. Cassandre m'en a parlé au téléphone, murmura-t-elle. Et toi Charles, comment vas-tu ?
Charles soupira.
- J’ai été un peu désemparé c’est vrai. Mais ça m’a fait réfléchir. Nos parents nous poussent à ce mariage mais si je suis totalement honnête avec moi-même je dois avouer que je ne me sens pas prêt non plus. J’aime beaucoup Cassandre, mais de là à m’engager à l’aimer toute ma vie… Je ne sais pas si c’est le bon moment.
Génial, songea Sophie, le mariage est dans un mois, tout est organisé et les deux fiancés ont des doutes. Ils ne pouvaient pas y réfléchir avant non ?
- Jusque là toutes nos rencontres ont été organisées par nos parents, sous leur surveillance. C’est trop convenu, nous avons à peine réussi à échanger des paroles personnelles. Je rêve de l’emmener loin d’ici, au milieu des montagnes, à Lucerne par exemple. On déambulerait dans la ville, on visiterait l’église des Jésuites, on irait se promener dans la nature. Le soir après dîner on se poserait sur le Kapelsbrücke. Rien que nous deux, dans la majesté des montagnes protectrices et le doux abri du pont couvert. Ou on resterait assis toute la journée sur le pont en discutant de tout, de nous et de tous les mots que nous n’avons pas pu nous dire. On regarderait la couleur du lac passer du bleu du ciel aux teintes douces orangées du soir qui tombe. Ce serait notre monde rien qu’à nous et nous y apprendrions l’art d’aimer.
Corentin avait perdu tout son orgueil.
Sophie restait silencieuse. Ce discours était le plus long de tous les discours de Charles. En l’entendant elle se disait prête à le défendre auprès de Cassandre. Quelle femme n’a jamais rêvé de se voir offrir de telles paroles ?
Elle en était à ce point de ses réflexions quand la porte de l’immeuble s’ouvrit et laissa place au sujet de toutes les conversations de ce matin.
Cassandre salua tout le monde d'un geste de la main. Son sourire était doux, un peu triste, de celui qui adoucit les nouvelles désagréables. Elle avait la mine chiffonnée des nuits sans sommeil, mais aussi celle des réflexions, où on passe des torrents de larmes à la décision.
Lorsqu’elle avait raccroché avec Sophie quelque chose s’était déclenché en elle. Jusqu’à présent elle avait trop subi ; elle devait se prendre en main et décider ce qu’elle voulait faire de sa vie. Elle avait pesé le pour et le contre, effectué quelques recherches. Le chemin ne serait pas facile mais l’épreuve lui permettrait d’évoluer. Le plus dur serait de convaincre ses parents, le reste viendrait ensuite.
Charles, Sophie et l’inconnu l’observaient avec inquiétude. Il était temps de leur annoncer ces nouvelles.
- Mes amis, vous vous inquiétez pour moi et je vous remercie du fond du cœur. Je vous connais depuis plus ou moins longtemps et chacun à votre manière vous m'avez aidée à avancer. Aujourd’hui ma vie prend un nouveau tournant et j'ai besoin de votre appui.
Cassandre prit une pause pour reprendre son souffle.
- Cette soirée et ce matin m’ont aidée à réfléchir sur la vie que je voulais vivre. Jusqu’à présent j’ai beaucoup écouté mes parents me dicter ce qui était bon pour moi. Aujourd’hui je ne veux plus de ça. Je veux pouvoir décider quoi faire dans le temps qui m’est imparti Charles, poursuivit-elle en lui prenant les mains, tu as toujours été bon envers moi, je sais que je peux toujours compter sur toi. Mais nos rencontres sont trop marquées du sceau de nos parents pour que je puisse envisager de t’épouser. Il faut que je m’éloigne de toi, pour un temps du moins.
- Cassandre, je…
- Je ne dis pas qu’un jour, si les circonstances nous rapprochent, cela ne se fera pas. Mais j’ai besoin de vivre par et pour moi-même.
Cassandre se tourna ensuite vers l’inconnu du bar.
- Moi c'est Corentin, bredouilla l'intéressé tant ce qu’il vivait là différait de ce qu’il avait imaginé.
- Corentin, j’ai passé un bon moment avec toi hier et je n'en ai aucun regret. Il m’a permis de me rendre compte que la vie qui se présentait devant moi n’était pas celle que je voulais vraiment. Pour ça tu as toute ma reconnaissance. Cependant je ne peux pas détruire une relation de plusieurs années pour en reconstruire une autre après une rencontre de quelques minutes et quelques verres de trop.
- Moi non plus je ne regrette rien, sauf peut-être que notre histoire s’arrête aussi vite, marmonna t-il. Je pensais qu'on pouvais poursuivre la soirée d'hier mais si tu veux autre chose je serais le pire des imbéciles de vouloir t'en empêcher
- Mais alors, s’écria Sophie, que vas-tu faire ?
Cassandre lui sourit tristement. C’était la partie la plus difficile.
- Je ne peux plus vivre ici, sous le toit de mes parents, persuadés que ce qui est le meilleur pour moi est de rester enfermée dans une bulle et de suivre leurs directives. J’ai besoin de vivre autre chose, de rencontrer de nouvelles personnes, de me poser et de faire le point sur ma vie. J’ai trouvé un groupe de jeunes de nos âges qui reconstruit un hameau en Ardèche. On travaille, on échange et on s’aide à avancer, ensemble. C’est exactement ce qu’il me faut pour commencer. Après je verrais. J’irais sans doute voir quelques membres de ma famille qui me comprennent un peu mieux et qui pourront m'aider à construire mon projet.
- Mais, tenta de s’opposer Charles, le train, les bagages, le matériel, comment vas-tu faire ? C’est un long périple à faire seule.
- J’ai travaillé par ci par là et à force de rester la majorité du temps à la maison, j’ai quelques économies qui me permettront de payer le séjour et le trajet. Quant à voyager seule, je me débrouillerai. Aller en Ardèche n’est pas très dangereux.
- Je pourrais peut-être t’accompagner, proposa timidement Sophie. Le laboratoire ferme cet été, comme ça tu ne serais pas seule je pourrais t’aider à discerner.
- Non, je dois partir seule. J’ai besoin d’un regard neuf sur ma vie. Tu es une de mes plus proches amies, tu m'as aidée à prendre confiance en moi et à vraiment commencer à vivre, susurra Cassandre pour adoucir la sècheresse de sa réponse. Mais pour avancer il faut que je me retrouve face à moi-même.
- Mais…, tenta de nouveau son amie.
- Maintenant ça suffit, dit Corentin d’un ton ferme. Si Cassandre estime que c’est ce qu’elle doit faire, nous devons respecter son choix et la soutenir. Elle n’est pas une petite chose fragile et incapable, elle est une femme courageuse qui ne craint pas d’affronter ses problèmes pour choisir sa voie. Je ne te connais pas depuis très longtemps mais j’ai la certitude que tu y arriveras.
Cette longue tirade de soutien venue d’un quasi inconnu laissa Cassandre muette mais ses yeux brillaient de reconnaissance. Sophie et Charles ne trouvèrent rien de plus à ajouter ou à contredire et l’affaire paraissait entendue. Un point d’importance subsistait encore cependant et il eut été difficile de passer à côté.
C’est un peu gênée que Cassandre clôtura son discours.
- Je n’ai pas besoin de l’autorisation de mes parents mais je dois les avertir sur l’annulation du mariage et ce projet. Est-ce que vous pourriez venir avec moi et m’aider à les convaincre ?
Personne n’osa refuser et bientôt tous se retrouvèrent dans le grand salon. La discussion dura plusieurs heures. Il fallu expliquer, réexpliquer, argumenter, rassurer et répondre aux inévitables questions sur la sécurité et l’opportunité d’un tel voyage. En fin d’après-midi les parents de Cassandre lâchèrent prise avec l’assurance plusieurs fois répétée que Sophie accompagnerait leur fille tout le temps du séjour.
Quelques jours plus tard Cassandre se tenait sur un quai de la gare de Lyon, un grand sac au dos, Sophie à son côté. Celle-ci lui fit promettre de lui donner des nouvelles de temps en temps, toutes deux s’étreignirent une dernière fois puis Cassandre monta dans le train.
Tout lui restait à découvrir mais le bruit du train sur les rails lui donnait confiance et espoir.