Un rat dans un laboratoire (Clio101)
La petite laborantine se mit résolument en route vers son lieu de travail avant de s’arrêter.
D’un geste vif elle attrapa son nouvel ami et l’installa dans la poche avant de son sweat.
— Surtout ne bouge pas, lui intima-t-elle. Il ne faut pas que le gardien te voit, ce serait la cata sinon.
Serge couina pour lui indiquer qu’il avait compris puis s’installa du mieux qu’il put. Il ressentit qu’elle reprenait sa marche, l’entendit lancer un « bonjour, bonjour » retentissant, perçut deux chuintements puis ce fut de nouveau le silence. Sa maîtresse se mit alors à lui décrire les membres de son laboratoire.
— Tu verras, ils sont tous sympas, sauf le chef qui est vraiment misogyne et Rodolphe, son assistant. Celui-là, tout sucre tout miel avec nous mais je sais qu’il nous casse du sucre sur le dos quand il fait le point avec lui. Et moi c’est Sophie ! Je suis la plus jeune du labo. Je commence une thèse sur les effets du chlorure de sodium sur le goût des aliments.
Et elle continuait à babiller tout en marchant. Serge, quelque peu étourdi par ce flot d’informations tentait de les organiser dans sa mémoire.
Il était pratiquement arrivé au bout de son classement quand la petite main de Sophie l’attrapa et le jucha de nouveau sur son épaule. Elle pénétra ensuite dans une pièce où se tenaient quatre personnes. Au centre, une dizaine de paillasses avec tout le matériel nécessaire aux expériences. Sur le devant une estrade avec un bureau et un tableau noir, une armoire contenant les produits chimiques, un frigo pour contenir les expériences et une large hotte pour la manipulation des substances dangereuses. Au fond de la pièce dix casiers où les laborantins déposaient leurs affaires.
A l’entrée des deux comparses fusèrent les cris, tant de surprise que de dégoût.
— Soph’, s’écria une petite brune aux yeux verts, je ne savais pas que tu avais un animal de compagnie. Il est tellement mignon !
— C’est absolument dégoûtant. Tu vas contaminer toutes nos expériences. Va immédiatement remettre ce rat dans la rue, dit un homme blond portant sur le visage un air insufférablement arrogant.
— Mais non il faut juste lui donner un bain et tout sera parfait, Rodolphe, répliqua Sophie. En plus ce n’est pas un rat ordinaire. Je l’ai rencontré assis face aux panneaux publicitaires, il tentait de recopier les lettres. Il veut apprendre à lire c’est juste génial.
— Alors il faut le remettre au laboratoire sur l’étude du comportement animal, dit Rodolphe de son air je-sais-tout. Ce rat sera un sujet de choix pour les collègues. Donne-le-moi je vais m’en occuper, dit-il en s’approchant pour s’emparer de Serge.
— Non, s’écria Sophie en reculant le plus loin possible de lui. Ils ne l’auront pas. Ils vont le mettre dans une de ces horribles cages et le soumettre à tout un tas de tests et quand il ne servira plus à rien ils lui feront je ne sais quoi.
Rodolphe tenta d’argumenter mais la petite brune et deux grandes femmes, l’une blonde, l’autre rousse vinrent se placer devant Sophie et le regardèrent d’un air mauvais. Après quelques instants de réflexion il n’osa pas insister.
— Au moins va le nettoyer. Il y a du produit tue-parasites dans le placard.
Et sans plus regarder ni adresser la parole à quiconque il se rendit à sa place et se mit à taper fébrilement un mail.
Le jour durant, le petit rat, une fois correctement lavé et peigné, assista, fasciné, aux expériences de sa maîtresse, perché sur son épaule. Il l’observa analysant, manipulant et mélangeant des substances, notant les résultats dans son ordinateur et lui commentant ses manipulations. Il se tenait là, ravi d’enfin pouvoir assister à un savoir en construction.
Le soir venu, alors que tous ses collègues étaient peu à peu rentrés chez eux, Sophie demeurait au laboratoire, complètement absorbée dans ses expériences. Ses pas et ses yeux allaient de son microscope à son ordinateur, à l’armoire et à la hotte. Serge se tenait toujours sur son épaule mais, gagné peu à peu par la fatigue, s’était finalement lové dans le creux de son omoplate. Quand vint le moment habituellement dédié à la picorée et qu’il s’aperçut que sa maîtresse ne semblait pas décidée à abandonner son étude, couina pour lui dire qu’il avait faim, mais très doucement pour ne pas la perturber.
—Oh, sursauta-t-elle tout de même. Je suis désolée, quand je suis dans mes travaux j’oublie tout. Je m’en occupe.
Elle rangea prestement ses affaires et le matériel, pianota sur son téléphone.
— Voilà, c’est lancé, s’écria-t-elle en attrapant Serge, un super repas nous sera livré dans peu de temps. En attendant je vais t’apprendre à lire.
Serge eut à peine le temps d’émettre un son qu’elle s’était dirigée vers l’estrade. Elle s’empara d’une craie et traça toutes les lettres de l’alphabet puis se mit à les enseigner au petit rat. Sophie les lui montrait et il inventa vingt-six couinements. Des lettres, ils passèrent aux syllabes, puis à quelques mots simples.
Totalement absorbés dans leur tâche ni lui ni elle n’entendit l’homme qui pénétra dans la pièce, les observa un instant puis se dirigea vers eux, un sourire cupide sur le visage.