La danse du serpent (Vegas sur sarthe)
Quand Germaine m'annonça qu'elle venait de s'acheter un Jodhpur, j'ai halluciné.
J'ai d'abord pensé à un nouveau canapé Ikéa mais on venait d'investir dans un Brâthult le mois dernier pour remplacer notre vieux Grönlid.
Alors j'ai imaginé un SUV qui serait subitement sorti chez Toyota mais Germaine n'a pas le permis de conduire !
« Tu vas passer ton permis ? » lui ai-je demandé sur un ton à la fois soupçonneux et horrifié.
« Mon permis de quoi ? » a t-elle très justement répondu.
« Un permis de conduire un Jodhpur » ai-je rétorqué tout aussi justement.
Germaine m'a lancé ce regard incrédule dont elle a le secret : »Un jodhpur, ça se conduit pas Môssieur, ça se porte ! »
J'en conclus qu'elle avait acheté une bagnole pour la porter … j'allais demander des détails quand elle a brandi fièrement son achat qui ressemblait de loin à une culotte de cheval.
J'étais abasourdi : »Tu vas passer un permis pour monter à cheval ? »
« Quel cheval ? » m'a t-elle demandé.
J'essaie de me la représenter en amazone, moulée dans ce truc à consonance suédoise quand elle me dit « T'as jamais vu de jodhpur de ta vie ? »
Je connais bien des choses vu mon grand âge mais j'avoue être dépassé aujourd'hui par tant d'inventions aux noms plus étranges les uns que les autres et qui disparaissent aussi vite qu'elles ont été créées.
« La culotte de cheval, c'est pas nouveau » lui dis-je, sûr de moi « mon oncle Hubert qui a fait sa carrière militaire dans les spahis en portait déjà dans les années 50 »
« C'était sûrement pas du Balenciaga » conclut Germaine avec une moue dédaigneuse.
Une odeur de carte bleue cramée me monte au nez ...
Pour moi – Balenciaga ou pas – une culotte de cheval c'est juste un pantalon large aux cuisses pour ne pas dire bouffant qui épouse cette excroissance graisseuse qu'on appelle cellulite et plus hypocritement culotte de cheval, non ?
Je ne m'aventurerai pas avec Germaine sur cette pente glissante par peur de représailles. Je me contenterai de lui dire que ça devrait bien lui seoir (seyant au participe présent) comme à toutes les femmes « pulpeuses » et qu'il ne lui manque plus que les éperons et la cravache ...
Quant au bourrin, je connais assez Germaine pour savoir qu'elle m'en attribuera le rôle et qu'il ne me restera plus qu'à hennir ou à braire comme un âne pour clore cette discussion.
Enfermée dans son dressing, j'entends Germaine fulminer et gesticuler en enfilant ce jodhpur.
Non, je ne lui suggérerai pas la danse du serpent – la Kalbeliya – pour aider à la manœuvre, je m'affalerai dans notre Brâthult en espérant des jours meilleurs … dans quel monde vit-on ?