La Mer Morte (maryline18)
C'est une fois ma mère morte, que je me décidai à voyager. Ma connaissance de la Géographie était on ne peut plus vague, aussi, après avoir consulté quelques pages électroniques, je m'envolai, un peu au hasard, pour Israël. Paris / Tel-Aviv, en vol direct, je me laissai séduire... C'était parti pour un dépaysement assuré.
J'étais à deux doigts de pardonner à ma "chère" mère mon expulsion de la maison familiale, trente-huit ans plus tôt ! Ma part d'héritage en poche, j'allais enfin pouvoir prendre le large, sortir la tête de l'eau, bref, troquer mes rames contre une paire d'ailes ! Eh oui, j'allais m'offrir les plus chouettes vacances de toute ma vie !
Un taxi m'emmenait à l'aéroport, comme dans les films... Dans l'avion, je sympathisai avec Cléo, euh...Chloé, une belle trentenaire, une jambe dans le plâtre, que je surnommai d'emblée : Cléopâtre. Esthéticienne et laborantine occasionnelle pour les produits " Tambouille et Compagnie": Les cosmétiques comestibles. C'est un tout nouveau concept, m'expliqua-t-elle, enthousiaste : toutes nos crèmes, toutes nos émulsions doivent impérativement pouvoir être consommées et ne présenter aucun danger pour l'organisme et donc pour la peau ! De fil en aiguille, une complicité se créa et elle me raconta sa vie et ses déboires avec Marc Antoine. C'est alors que sa voix dérailla et monta d'un octave...
_" Je veux mourir ! Je vais me noyer dans la Mer Morte !
_"Avec un plâtre ? qu'elle idée !" Répondis-je quelque peu affolée...(C'était bien ma veine : tomber sur une suicidaire !) La bouche tremblante et l'oeil humide, elle poursuivit :
_"Accompagne moi pour mon tout dernier voyage ! " J'ai menti à mon Patron, je lui ai promis que je prélèverais des échantillons de boues dans cette saleté de Mer pour qu'il me paie le voyage !
Un peu décontenancée, j'improvisai : "Ecoute, fait moi confiance, laisse moi une chance de te faire changer d'avis, de te convaincre que la vie peut être belle, s'il te plait... Je ne vais pas te laisser seule à ruminer une tristesse pareille ! Je ne te quitte plus ! Si au bout de nôtre séjour, tu ne changes pas d'avis, je t'aiderai, je te le promets mais je vais tout tenter pour trouver une meilleure issue à nos vacances si... particulières !"
Je ne sais pas si elle a accepté à cause de la sincérité que contenait le timbre de ma voix ou pour que le curieux à sa droite cesse de tendre son oreille velue, ou encore, pour que j'accepte de pousser son fauteuil roulant, mais elle acquiesca avec un beau sourire, qui me donna envie de chanter sur le champ, "La Reine des Neiges" ! (Allez savoir pourquoi !)
_" Libérééééééééée ! Délivrééééééééée ! "
l'indiscret Monsieur écrasa promptement et tout hurlant, ses deux feuilles de choux de ses deux mains ! Il faillit avoir les tympans perforés ! J'explosai alors dans un fou rire communicatif. Chloé essuya des larmes de joie et de chagrin mêlées. De nouveau sur le sol, nous nous installâmes dans la suite de l'hôtel, réservée par son patron, plus que confortable. Le lendemain, je n'eus pas envie de comparer le taux en sel de ses larmes avec celui de cette Mer Morte, qui dit en passant avait tout d'un lac sans vie, d'après mes recherches : ni faune, ni flore...Je n'avais encore jamais imaginé une mer si immobile et si vide. Je me disais que sa minéralisation exceptionnelle rendrait difficile la concrétisation du funeste désir de ma collocataire...Je pourrais toujours lui expliquer la poussée d'Archimède, en dernier secours, si elle veut bien l'entendre...!
Donc, le lendemain, toutes deux, sublimement vêtues, telles des "Esméralda" mais en plus magnifiques encore, nous passâmes sous " La porte des fleurs" de Jérusalem, au creux de la vieille ville. Les yeux agrandis d'émerveillement, comme elle était belle "ma douce Cléopâtre" ! Il n'était plus question de vilain garçon ni de lamentations. Toutefois, par sécurité, je déposai en cachette, un peu plus tard, une requête griffonnée sur un vieux bout de papier dans une des fentes de ce fameux mur...Pour lui changer les idées, j'oubliai volontairement la visite du cimetière du Mont des Oliviers, mais aussi la "Via Dolorosa" et le temple où repose la Vierge Marie...
Jérusalem, si on veut éviter de parler de la mort, c'est compliqué ! Nous sommes donc parties, elle, protestant contre mon obstination à emprunter des chemins plein de rebondissements pavés, et moi, pestant en poussant son fauteuil récalcitrant, se perdre dans le dédale des ruelles du vieux Souk. On s'acheta toutes deux des babouches et c'est devant l'échoppe des bijoux qu'on fit la connaissance du beau Youcef...J'aperçus une éteincelle dans le regard de ma protégée qui me laissa présager le meilleur comme le pire...