Madame Carrier (Yvanne)
• Oh, pardon !
Josy referme doucement la porte du salon. Elle s'apprêtait à faire le ménage dans cette pièce comme chaque lundi, suivant les instructions de son employeur, Monsieur Carrier. Mais elle a été coupée brutalement dans son élan. Josy s'appuie contre le mur du couloir et réfléchit : que faire ? Le salon est occupé et ce qu'elle a aperçu la laisse pantoise. Elle ne peut quand même pas entrer. Elle reviendra plus tard pense-t-elle. Peut être la personne entrevue sera-t-elle alors plus présentable. Ou aura déguerpi.
Tout en s'affairant dans la cuisine, Josy se pose des questions. Que fait cette femme dans la maison ? Qui est-elle ? Pas possible : Carrier aurait-il déjà trouvé quelqu'un ? Son épouse vient juste de refroidir : à peine trois mois depuis son décès. D'une longue et cruelle maladie comme on dit. La pauvre. Ces hommes. Tout de même ! Et le genre de la remplaçante ! L'image de la jeune femme – car il s'agit d'une jeune à n'en pas douter – s'impose à son esprit. Elle a vu, de ses yeux vu une silhouette allongée sur le sofa. Le beau sofa que Madame Carrier avait choisi elle-même quelques mois avant son décès et qu'elle aimait tant. Un canapé de cuir pleine fleur, aux belles lignes et très confortable. Blonde aux longs cheveux défaits, la demoiselle, avec une bouche rouge et pulpeuse comme celle de Marilyn et d'immenses yeux bleus qui la regardaient tranquillement. Nue, entièrement nue avec de gros seins. Une prostituée sûrement. Quelle indécence ! Et puis Carrier ne lui a rien dit à sa poule ? Il sait pourtant bien que le lundi est le jour de Josy. Qu'a cette créature à traîner encore dans la maison à cette heure ?
Josy s'énerve. Elle n'aime pas être contrariée dans son travail. Et puis, si la pauvre madame Carrier, si gentille, si douce découvrait ça ! Même morte elle ne mérite pas que cette gourgandine trône ainsi chez elle. Sans aucune gêne. Sans aucun scrupule. Sa rage se tourne maintenant contre son patron. Mais comment ose-t-il ce saligaud ? Il n'attendait que ça : le départ de sa malheureuse épouse pour assouvir ses bas instincts sans doute ! Dégoûtant.
Josy guette l'arrivée de la jeune femme. Elle finira bien par sortir du salon quand même ! Elle ne la saluera pas. Ah ça non ! Une heure passe et rien ne bouge. Josy bout d'impatience. N'y tenant plus, elle marche d'un pas décidé dans le couloir. Elle ne va pas pas passer toute la journée à attendre que la...chose se décide à partir. Et puis hein se dit-elle je vais aller passer l'aspirateur dans le salon. Si la traînée campe toujours là, elle fera son travail en l'ignorant. Le silence n'est-il pas le plus grand des mépris ?
Josy frappe assez brusquement à la porte. Écoute. Rien : pas un bruit. Elle recommence une deuxième, puis troisième fois. Pas davantage de mouvement à l'intérieur de la pièce. Faut-il insister ? Elle dort peut être, cette...cette...Manquerait plus que ça tiens ! Je vais la réveiller moi ! Ou bien, elle fait semblant de ne rien entendre. On va voir . Là, c'est trop.
Cette fois, Josy ouvre en grand la porte du salon, le traverse et se plante devant le canapé. La créature gît toujours dans la même posture. Mon dieu, mais elle est morte, on dirait. Qu'est-ce que je fais ? Je ne vais tout de même pas lui fermer les yeux ? J'appelle Carrier à son cabinet – ben oui, Carrier est dentiste - et je file. Il n'aura qu'à se débrouiller. Moi, je n'ai rien vu hein ! Je ne veux pas me mêler de ça. Déjà que les flics me connaissent à cause de mon fils, ce crétin qui circule sans permis...
Josy ne peut résister à une certaine curiosité cependant. Je vais regarder de plus près quand même. Après tout, cette personne a peut être besoin d'aide. Je ne peux pas me tirer comme ça. A moins que...Une idée germe dans la tête de la femme de ménage. Elle se penche et surprise ! Elle éclate de rire devant sa découverte : la remplaçante de Madame Carrier, dans le cœur et surtout - qui l'eût cru – la libido de Monsieur Carrier est une vulgaire poupée gonflable.