PIQUER UN FARD (TOKYO)
J’ai toujours su que je ne servais à rien. Cela ne m’empêche pas de faire une fixette sur ma jeunesse qui fout le camp.
Crèmes de beauté en tout genre, lifting, botox j’avais tout tenté. J’aurai pu me tourner vers Jésus notre sauveur en criant Jésus est super, il a raison pour tout et tout le temps et le reste du monde ne sert à rien. Mais de cela je n’étais pas convaincue. Cette allégeance enfantine à laquelle je me refusais n’effaçait en rien le grand n’importe quoi de ma vie.
En déployant des couches successives de maquillage, en teignant, colorant mes cheveux, je restais en équilibre à la jonction de deux mondes qui ne voulaient pas se regarder en face .J’’avais en moi une sorte de modernité hip-hop qui m’invitait à aller au bout de mes délires .
Je passais mon temps à télécharger des messages subliminaux d’autres galaxies et j’avalais des pilules orange pour ralentir le vieillissement de mes cellules. J’avais l’air d’un junky qui déambulait dans les rues de New York le soir au clair de lune.
Il y avait quelque chose de brut dans ce désir de saisir le temps à la gorge et de lui faire rendre l’âme. Ainsi du matin au soir je jouais au ping-pong avec mon reflet dans ma glace . Tantôt le compteur annonçait 25 ans, puis certains soirs une alarme me sortait du lit Attention vous vieillissiez dangereusement votre compteur affiche 75 ans vous êtes au bord de l’anévrisme .
Je ne m’encombrais pas de la pureté de mon âme. Qui s’en souciait d’ailleurs. Mais un après-midi à l’heure où tout le monde déguste un Far breton il y eut un point culminant au bord de l’horizon de ma vie une carte maitresse qui a brouillé mon destin. Il ressemblait à un vilain petit canard comme tiré du lit avec sa veste râpée.
He mon cœur ne t’emballe pas disait Brel. Mon cœur me dit-il en s’approchant de moi je voudrai pas te faire piquer un fard me dit il mais tu bats tous les records de longévité ma douce . On va te décerner la Légion d’honneur.
Si tu veux jouer au petit jeu de la distribution de breloques lui rétorquais ,je pourrai faire en sorte que ton ombre te quitte un jour espèce de petit con et quand je t’aurai fracturé la rétine tu n’auras plus rien à regarder . Je vois comme un livre ouvert dans ta vie dit-il sans se démonter au fait bonne année bébé, ne fais pas la boudeuse,
Nous avons tous besoin de temps me dit il en souriant toi comme moi pour aimer. Ce fut ce qui déclencha dans mon cœur une tempête niveau 9 Ouragans internautiques. Le mot banni, interdit venait d’être prononcé ‘ on a tous besoin d’amour et pas de far breton . Il y avait même des répliques du séisme dans mes reins.
Parfois il ne faut rien dire et laisser le silence s’occuper des choses et là le silence fut à la hauteur. Il me prit par la taille mon maquillage a fondu illico j’avais l’impression d’être une moule collée à son bouchot. La poupée de cire avait fait place à la femme mure, sans artifice l’amour m’embellissait et je l’avais oublié.
Ne pique pas un FAR me dit-il. Le simple fait de me remémorer cette conversation me fait rougir. j’ai l’impression d’être l’heureuse élue. C’était enfin la fin du grand mensonge .ET DEPUIS