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Le défi du samedi
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24 février 2018

Les feuilles mortes (Emma)

 

Mon dieu, mon dieu, elles sont toujours là, les banquettes en moleskine, un peu moins rutilantes, un peu plus avachies, mais il est toujours là, en son jus, le bistrot de Pierrot.
Et Pierrot lui-même est encore là, moins fringant qu'au temps de la photo en sa gloire au-dessus du comptoir, et nettement moins tonitruant.           

François l'interpellait avec insolence, en ces jours de jeunesse, en ces jours d'insouciance : ho là tavernier ! ou encore : pourrais-tu mettre un peu plus de margarine ?
Ils atterrissaient souvent là à la fin des cours, entre chien et loup, après de longues déambulations dans les rues, (est-ce que réellement il pleuvait toujours ?)  
L'un qui aimait, et l'autre non.
Les pavés luisaient doucement
et ils croisaient la lune dans chaque flaque.
D'une fenêtre là-haut un saxo bluesait,
il a dit : "te rends-tu compte ?
te rends-tu compte qu'on a vingt ans ?" 

Deux écorchés, ivres de musique et de mots, tendres et vulnérables ! Elle jouait les futiles, et lui l'artiste maudit.
Il était arrogant, agressif, mais la nuit écrivait des lettres déchirantes : Unique, disait-il, toutes les fois que je te quitte, je maudis le dilettante cynique et vaniteux que je joue, mais un jour, je t'enseignerai la ferveur".
Parfois, quand il n'y avait pas d'autre client, sur le vieux piano au fond du bistrot, plus habitué à résonner des gaillardes chansons estudiantines, il jouait Grieg, Chopin ou Kosma… Comme un dieu.
Oh je voudrais tant que tu te souviennes des jours anciens où nous étions heureux… 

Mon dieu, c'est là, sur cette banquette de moleskine miteuse, qu'elle a passé les meilleurs moments de sa jeunesse. Et elle ne le savait pas !
Te souviens-tu, Pierrot ?
Mais Pierrot ne se souvient pas, il a même oublié qu'ils se tutoyaient. Il en a tellement vu, des gamins, sur ses banquettes !
Non, il ne se souvient pas de François, ni de la moto qui a tué dans un lacet de montagne l'un des écrivains les plus prometteurs de sa génération.

 

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Commentaires
B
Les gens vont et viennent et les souvenirs ne sont pas toujours gardés en mémoire<br /> <br /> Ton texte est superbe émouvant un passé encore bien présent <br /> <br /> Bravo et Merci pour toute cette tendresse Emma
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C
émouvant<br /> <br /> une jeunesse fauchée<br /> <br /> mettre un terme à la vie et à toutes sortes de petits détails c'est le propre des accidents<br /> <br /> <br /> <br /> et le bistrot lui n'a pas de mémoire, hé mais oui, est-ce que réellement il pleuvait souvent là-bas bretagne ? no sé<br /> <br /> <br /> <br /> bien rendu
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P
Superbe nostalgie à la fois triste et heureuse ! J'aime "Est-ce que réellement, il pleuvait toujours ? ". Émotion plein cœur.
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K
Très sensible et personnel, merci Emma. Le mot "ferveur" est irrémédiablement associé, pour moi, à Gide et aux Nourriture terrestres si exaltantes à l'adolescence...
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M
J'aime bien. Bravo!
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J
En tout cas ça donne furieusement envie de réécouter "Putain de camion !".<br /> <br /> <br /> <br /> Condoléances à ta narratrice, chère Emma !<br /> <br /> <br /> <br /> https://youtu.be/_7m9DPtGfI0
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M
Moi aussi je sèche ! Très agréable même si je donne ma langue au chat !
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A
j'ai déjà lu ton texte ce matin, me demandant à qui tu faisais allusion... je ne le sais toujours pas :-)
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V
excellentissimo le bar à souvenirs , le lieu des empreintes où on vient se ressourcer belle madeleine proustienne
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J
Moleskine, cela me fait penser à Souchon et la première fois que j'ai essayé de déchiffrer ses paroles. Un beau souvenir, alors merci, Emma !<br /> <br /> <br /> <br /> Dans ton texte aussi, tu récrées un atmosphère tangible. Bravo !
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