Rimbaud n'a pas chanté en v(a)in ! (Joe Krapov)
En atteste ce poème retrouvé récemment et publié dans le numéro 1
de janvier 2018 de la revue "Rions un peu avec Rimbaud !"
(Rennes : Editions du Petit port et de la Haute-Folie) :
"Paul est toujours entre deux vins,
Entre Xérès et Saint-Pourçain,
Offrant les délicieux bouquets que voici,
De fruits, de fleurs, de feuilles, de branches,
Entre Nuits-Saint-Georges et pitanche,
Affrontant son dragon et sa grise souris.
Nous allons de Paris à Londres via Bruxelles
Pleins d’effervescence et gaîté
Entre Corbières et Châteaugay.
Notre verbe est subtil et de grand richesse
Intense, aromatique, avec beaucoup de corps
Entre Pécharmant et Cahors.
Rude, mais généreux,
Bien qu’encore un peu vert et promettant beaucoup,
Notre aspect d’hommes jeunes et quelque peu artistes
Plaît ou déplaît surtout
Entre Petit Chablis et Cabernet d’Anjou.
Bien sûr que nos plaisanteries
Manquent quelque peu de finesse !
C’est que c’est difficile d’être bien rond et souple
D’avoir un parfum floral prononcé
Entre Romanée-Saint-Vivant et Valençay.
Mais notre couple est bien équilibré
Et présente beaucoup de caractère
- D’autres diraient plutôt «spécial» -
Entre Côte-Rotie et Jurançon l’Etoile.
Seulement quand le vin a été tiré
Et la balle aussi,
Quand il a fallu boire le calice jusqu’à la lie
Entre Clos-Vougeot et Reuilly
Les juges ont considéré
- Pauvre Lélian
Entre Hermitage et Frontignan ! –
Qu’il mériterait d’être laissé
En cave pendant au moins trois ans.
C’est vrai tout ce qu’on a pu dire
De moi :
Que j’étais sensuel et charmeur
Avec un goût de terroir très prononcé
Entre Chambertin-Clos-de-Bèze et Touraine-Noble-Joué.
Sans doute que le charme me viendra en vieillissant
Entre Pouilly-Fuissé et vieux Châteaumeillan.
J’aurai un délicieux arrière-goût de fumée
Je deviendrai quelqu’un de grande classe,
Très recherché
Entre Chablis Grand Cru et Bâtard-Montrachet !
Joliment charpenté et souple,
Vigoureux et bien membré,
Entre Moulin à vent et bon Clos-des-Lambrays.
***
Paul est toujours entre deux vins,
Entre Xérès et Saint-Pourçain.
Un soupçon d’acidité s’est glissé dans nos verres.
Ô pourriture noble !
Ô destin du vignoble !
Tout s’est terminé dans un trouble intense
Entre Gigondas et Baux-de-Provence" !
P.S. 1 On trouve ici (Rimbaud invisible sur deux photos, par David Ducoffre) un lien plus fort encore (?) entre Rimbaud et le Xérès : « Non, Rimbaud n’a pas dégusté, « sous les vérandas de l’Hôtel Suel », de « cette glace pilée, mélangée de Xérès, d’alcool, de citron et de cannelle, qui constitue le Sherry gobler [sic pour « cobbler »] et qui est la boisson préférée de l’Européen dans toute la zone torride » selon les dires d’Edmond Courtois dans ses souvenirs de voyage au Tonkin parus en 1890 ».
P.S. 2 Les illustrations de ce billet sont tirées de "Parler en vin" de Ronald Searle.