Les belles histoires d'oncle Friedrich. 1, Ubiquité (Joe Krapov)
Il m’a dit d’aller voir là-bas s’il y était.
J’y suis allé. Il y était.
- Comment cela est-il possible ? lui ai-je demandé.
- Je suis partout ! Je suis dans tout ! a-t-il ricané.
Il avait une gueule d’ange et un sourire méchant de garnement rusé.
- Va voir à Charleville si j’y suis !
Je suis allé à Charleville. Il y était.
Je suis allé à Londres. Il y était.
Je suis allé au restaurant chez Godefroi, à Bouillon. Il y était.
Je suis allé, enfantin, voir la tour de Paris. Il y était.
Je suis allé à Stuttgart. Il y était.
C’était quoi, ce jeu ? Ça ne rimait même plus. Même pas avec rien.
C’est là que j’ai compris que c’était un vaurien.
Quand tous les clignotants ont été au rouge – c’était à Bruxelles encore, une fois ça marche, une fois ça marche pas – j’ai sorti mon revolver et je ne l’ai pas raté. Une balle en plein cœur et deux autres qui lui ont fait deux trous rouges au côté droit.
Je ne sais pas comment c’est dans le vôtre mais dans cet univers-ci, Dieu est mort. C’est moi qui l’ai tué. Son don d’ubiquité m’énervait.
On a ramené sa dépouille de Marseille et on l’a enterrée avec son corps de Bruxelles. Bien sûr personne ne sait où a eu lieu l’enterrement ni où on a mis le corps d’Arthur – ici Dieu se prénommait Arthur – mais on s’en fout. Depuis, sans lui, c’est le paradis, ici.
Extrait de : « Ainsi parlait Sarah Fouchtra, Auvergnate irascible » de Friedrich Nichts.
P.S. 1 Si tu lui avais dit, oncle Friedrich, qu’ici Dieu est un type avec une jambe de bois qui rêve de retourner au désert, Sarah aurait compris pourquoi notre monde boîte autant !
P.S. 2 L'illustration (Copyright la Bibliothèque Nationale de France) représente Augustin et Arthur Dieu en premiers communiants. Si vous avez d'autres photos d'Augustin Dieu, faites le savoir à Pierre Michon, il est preneur !