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Le défi du samedi
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6 janvier 2018

Champagne (Pascal)

 

Je te voyais partout ! Tu étais dans les tableaux, dans les motifs de la tapisserie, sur les étagères, sur les suspensions, derrière les rideaux, derrière les abat-jours ! Tu dansais contre les murs, tu courais au plafond, tu glissais sur les planchers ! Arrogante comme les statuettes, souriante comme les posters, bavarde comme le tic-tac du réveil, tu jouais à cache-cache entre mes bibelots ! Le canapé dessinait ton corps allongé, les coussins avaient quelques médailles de tes cheveux blonds et les fragrances des jours heureux.
Quand tout était silencieux dans la maison, quand j’écrivais ton nom au début de chacun de mes paragraphes, le plancher craquait doucement, les ombres se déplaçaient subrepticement ; il me semblait que tu lisais par-dessus mon épaule. Même les héroïnes de la télé avaient toutes ton charme ! Celles de mes livres, le parfum capiteux des pages les plus exaltantes ! Quand j’oubliais de penser à toi, petite effrontée, tu te posais sur le rebord de la fenêtre et tu regardais à l’intérieur de la maison pour me surprendre !
Le chien qui aboyait dans la rue me rappelait le facteur et je fonçais jusqu’à la boîte aux lettres ; une fleur délicate dans le jardin et c’était toi qui « révérençais » au bout de ta tige ; une chanson d’oiseau et c’était toi qui sautillais dans l’allée ; l’arrosage qui s’illuminait avec le soleil et c’était toi qui te maquillais avec l’arc-en-ciel ; les ombres cachées du seringat avaient les parfums de ta chair et le soleil m’éblouissait comme s’il se posait sur tes fines boucles d’oreilles en or pailleté. Les étoiles de la nuit, ces garces scintillantes, m’indiquaient tes coins secrets les plus timides !...

J’ai détapissé, j’ai changé les meubles de place, j’ai jeté les colifichets, j’ai déchiré tes photos, j’ai labouré le jardin, j’ai coupé l’arbre des poètes, j’ai tué le chien du voisin, j’ai déménagé ! Je me suis enfui jusqu’à l’autre bout du monde ! Les tempêtes océanes avaient tes rires interminables ! Le ciel ? Le ciel, cet hypocrite entremetteur céruléen, avait la couleur indéfinissable de tes yeux ! Les blizzards dessinaient ta silhouette dans la neige ! Les déserts de sable avaient le grain de ta peau et le soleil brûlant alimentait mes fièvres accaparantes et tous ces mirages mensongers ! Les fleuves tortueux et leurs méandres, les cascades vertigineuses et leurs embruns, les étangs les plus secrets et les mers les plus lointaines, réfléchissaient tes moues incrédules aux interludes de mes soupirs insatiables !...
Les vagues à l’âme et les vagues de la plage se ressemblent, je trouve ; elles se brisent inlassablement sur les rochers de l’incompréhension tenace. Insolentes, inquisitrices, impétueuses, ravageuses, elles viennent caresser ma carcasse en me faisant avouer quelques frissons que je ne maîtrise jamais…

Corps et âme, dans d’autres bras batailleurs, j’ai cru aimer ailleurs mais tu gardais la primeur, avec tes plus beaux sourires moqueurs à la devanture de mes pensées en pleurs !
Indomptable, tu restais la figure de proue de mon bateau ivre ; au tableau de bord de mon cœur déglingué, tu étais le Saint Christophe railleur de ma conduite emballée ! Marin désarticulé, j’ai alors foncé tout droit dans les bouteilles d’alcool ! A moi l’Ivresse ! Les châteaux de cartes ! Les princesses esseulées ! Ces viles prêtresses alanguies en forme de traîtresses assidues ! A moi les mondes engloutis, les caniveaux sans peur et les vomissures sans reproche ! Champagne ! Au milieu des bulles, pétillante, tu te baignais à la surface !... Champagne ! Tu étais la musique de la flûte !... Champagne ! Il avait le goût de tes lèvres !...

En pleine crise de foi, je suis allé voir Dieu et ses plans de comète ; j’avais un arsenal de prières pour te combattre en ton pays de Guerre Sainte ! Déserteur, devant l’immense tâche, il n’était pas dans son église ! Toi, nonchalante, jeteuse de sorts, tu dansais tes farandoles berçantes au bout des bougeoirs ! Tu te déguisais en Marie ! Tu traversais les vitraux comme si tu voulais tout éclairer de mes supplications ! Tu t’allongeais sur les bancs, tu agitais l’encensoir, tu tournais les pages des missels ! Tu essayais les auréoles des Saints ! Tu me chuchotais tes rougissements dans l’alcôve du confessionnal ! Mais Dieu faisait relâche ! Derrière l’autel, Jésus, son premier délégué, portait sa croix et elle ne ressemblait pas à la mienne !...
J’ai visité Allah, Bouddha, Krishna, ils étaient aux abonnés absents, trop occupés à encadrer des guerres, des famines, des croyances, des ignorances !...

Tel un artiste raté, j’ai croqué dans les cachets pour peindre mes nuits blanches en noir ! Tel un fou, j’ai dansé sur le fil des falaises les plus farouches ! Tel un pantelant suicidaire, j’ai couru sur les parapets des ponts les plus pentus. Combien de fois ai-je sauté d’un avion sans parachute, joué à la roulette russe, repris ma respiration au fond de la mer, perdu en duel contre des prétendants sans visage, vendu mon âme au diable…
Avec le temps, j’ai perdu le goût du courage, des aurores prometteuses, des fleurs et des « je t’aime » au coin du soir ; je sais que le père Noël n’existe plus, que les enchantements sont de la poudre aux yeux, et cela m’attriste considérablement. Cadeau suprême, tu es restée au pied de mon sapin et je n’ai jamais su dégrafer ton ruban…

Aujourd’hui, je survis mal entre les draps froids d’un pénible lit d’hôpital ; j’aiguise mon dernier souffle en accordant mes soupirs à l’Eternité. Toi, tu es la petite goutte innocente qui se balade libre dans le tube de la perfusion, l’élan sentencieux de la seringue morphinique ajustée à mon bras si maigre, la veine la plus tortueuse de ma main, la chaleur de ma larme la plus brûlante.
Dans mes rêves médicamenteux, lascive, amoureuse, imprudente, je te retrouve enfin pendue à mes lèvres ; nous avons tant de secrets à partager. Tes cheveux sont si blonds quand je les laisse glisser entre mes doigts ; moissonneur de tes frissons, d’un grain de beauté à l’autre, je m’aventure sur le chemin de ta carte au trésor mais je me perds entre tes « encore » et tes extraordinaires décors… Tout à coup, on frappe insolemment à la porte de mon Paradis !... Qui dérange mon intimité ?!... C’est l’infirmière, c’est un ange et… ses yeux sont bleus…

 

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Commentaires
V
c'est beau quoi l'écriture quand elle arrive du coeur
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B
Que dire j'ai du mal à trouver mes mots<br /> <br /> Alors je te dis Merci et j'attends de pouvoir encore et encore te lire<br /> <br /> Bravo Pascal
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T
A ta santé Pascal ;) et longue vie à tes écrits
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P
Merci pour vos commentaires sympas.
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V
C’est rare quand je l’écris. Mais là je l’écris . C’est excellent.
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J
Ce texte tout en clarté, finesse et saveur. est un pur moment de délectation <br /> <br /> Je remarque cependant qu’il est triste après une crise de foi, de mourir d’une cirrhose.<br /> <br /> Je comprends la consigne (que je ne respecte pas)<br /> <br /> Boire Modérément avec….
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C
Ce n'est plus le don d'ubiquité, c'est une passion chevillée au cœur. Et les mots l'accompagnent à merveille.
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K
"Avec le temps..", certes, mais enfin, au final, in extremis, tout espoir n'est pas perdu !?...
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J
Quel cri d'amour jusqu'à la phrase pénultime - mais encore cette semaine, la fin, elle efface l'effet de tout qui précède. Je crois qu'il y a trop de beauté et d'émotion dans tout qui vient avant, cela creuse le tout à la fin, à mon avis.<br /> <br /> <br /> <br /> Oui, je sais, jamais contente ! Mais toujours admirative de ta maîtrise des mots et de la syntaxe. Bravo.
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J
Champagne blond pour les uns, caviar bien noir pour les autres !<br /> <br /> Hélas ! Quelquefois ce sont les mêmes qui trinquent et qui dégustent !<br /> <br /> <br /> <br /> Quelle fièvre vitale encore dans ce texte ! On ne peut qu'applaudir en silence.
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W
Ah, ces fantômes omniprésents !
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M
Tes textes m'atteignent en plein coeur ! Ils me laissent sans voix et sans mots pour te dire combien j'aime te lire...Merci pour ce cadeau !
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