Souvenirs (Thérèse)
La maison familiale, c’est une atmosphère particulière qui m’accueille à chaque fois et où reviennent en cascades des résurgences du passé qui remontent à la surface.
Revoilà le jardin avec ses lignes de légumes bien ordonnés comme toujours. Le jardin, c’est l’espace de liberté. C’est un souffle d’air pur qui vient t’aspirer et t’englobe dans une bulle de bien-être et de paix.
Petite fille, je m’imaginais cheval sauvage galopant et je courais éperdue dans l’allée, de la cour jusqu’au bout du jardin, cette parcelle d’herbes sauvages qu’on nommait la pâture. Elle est d’ailleurs toujours là. L’été, Papa la coupait à la faux pour en faire du foin qu’on retournait patiemment jusqu’à ce qu’il soit bien sec. On engrangeait ensuite les bottes confectionnées dans le vieux grenier, en prévision pour la nourriture des lapins.
Et puis il fallait ramasser les pommes de terre qu’on étalait ensuite à l’abri pour les laisser sécher avant de les trier.
Combien j’ai passé d’heures à arracher les mauvaises herbes… J’aurais pu y rester des jours entiers, les mains dans la terre. Je faisais partie de la terre, j’étais la terre, cette terre noire que Papa déplorait toujours d’être trop pauvre, trop sèche mais qui me semblait si douce sous les doigts. Oui, il me semblait qu’elle faisait partie de moi.
L’été, armées de timbales et de longs bâtons munis d’un crochet, nous partions avec maman pour de longues excursions, dans les prés et les chemins de terre, pour traquer et déloger les délicieuses mûres sauvages dans les haies. Il fallait alors rivaliser d’adresse pour atteindre les plus hautes, les plus belles, les plus inaccessibles au parfum incomparable, celles qui se cachaient derrière les épines sournoises.
Nous admirions au passage les jolies épeires, ces arachnides aux couleurs variées qui attendaient, attentives et patientes, au milieu de leurs toiles tendues, espérant quelque insecte pour leur repas. Bizarrement, malgré ma phobie des araignées, celles-ci ne me faisaient pas peur. Au contraire je m’émerveillais devant les motifs inattendus qui les recouvraient. J’étais fascinée par leurs couleurs délicates, certaines ressemblant même à de petits bijoux confectionnés en perles.
Nous revenions, nos timbales remplies à ras-bord, les doigts rougis de notre cueillette sucrée, et le sourire aux lèvres, à la pensée des promesses de confitures, de tartes et de glaces parfumées.
Une fois l’automne et le froid revenus, nous attendions que les champs de maïs soient coupés et repartions de plus belle pour de longues escapades, à la recherche des épis oubliés. Il fallait faire vite, avant que le champ ne soit labouré, perdant ainsi à jamais les trésors qui y restaient enfouis.
Le mieux était de repérer tout d’abord les longues tiges couchées qui avaient échappé à la moissonneuse. Ensuite il suffisait de récupérer les épis qui restaient encore attachés. Pourtant nous étions bien souvent trompées par des enveloppes vides. Aussi, j’avais appris à tâter d’abord du bout du pied pour m’assurer de la présence des grains cachés sous les feuilles.
Parfois, ignorant les bouquets de tiges malmenées qui s’étaient couchées sur le sol argileux, je préférais marcher, tête baissée, le long des éteules piquantes pour rechercher le maïs dissimulé à demi dans la terre glaise. J’aimais ces longues marches à travers les champs, avec pour tout horizon le ciel à l’infini et les terres à perte de vue.
Nous repartions harassées mais heureuses, nos sacs remplis d’épis dorés qu’il faudrait ensuite ouvrir, faire sécher et égrener pour les lapins et pour les poules.
Le soir, une fois le souper terminé et la vaisselle faite, on s’installait tous pour lire chacun un livre. Mais mon plus grand bonheur, c’était d’attendre patiemment, avec Maman, la diffusion souvent très tardive, à la télévision, du film par excellence, celui qui nous récompensait de notre travail de toute la journée : le film de Science-fiction. Rien ne me faisait plus plaisir que cette attente fiévreuse en douce connivence.
Tous ces souvenirs, me direz-vous, sont une accumulation de travaux mais, pour moi, c'était surtout une source de plaisir partagé, tant pour l'entraide à nos parents que pour la satisfaction du travail accompli. Et aussi, comment rester insensible à cet air si pur de nos campagnes d'antan...