Les collectionneuses (par joye)
Il me regarda droit dans les yeux.
- T’es sûre ? Parce que, si t’es pas sûre…
- Oui. Je hochai la tête. J’étais sûre.
- D’accord, répondit-il. Il me prit la main. La sienne était froide. La mienne toute chaude.
Il frappa deux fois à la porte et puis nous y entrâmes.
La chambre sentait le désinfectant. Une lumière indistincte illuminait un couloir étroit au fond de la salle. Au début, je pensais qu’on s’était trompé de squat, mais Paul resta calme, comme s’il connaissait déjà le lieu.
De nouveau, il me regarda, de nouveau il dit :
- T’es sûre ? Parce que, si t’es pas sûre…
Mais j’étais sûre. J’y avais réfléchi. Longuement. Et je n’eus aucune autre idée que de le faire faire. En ce moment, je l’aimais de tout cœur, ce jeune homme qui voulait m’aider.
D’un coup, on entendit des pas dans le couloir, et je vis s’approcher la dame. Elle ne ressemblait pas à la vieille valkyrie que j’imaginais. Son visage me rappelait une galette sucrée, lisse et ronde et sucrée. J’aimais les galettes. Je savais que tout allait bien finir.
Elle nous fit asseoir sur un canapé vaguement gris qui sentait la poussière.
- Avez-vous des questions ? demanda-t-elle, en me prenant la main. Elle s’adressait à moi, comme si Paul n’était pas là, comme si ce n’était pas sa décision aussi.
Je hochai la tête, mais je savais qu’il fallait que je lui parle, afin qu’elle entende que j’étais d’accord.
- Vous faites cela depuis longtemps ? lui demandai-je. La honte surgit immédiatement dans mes joues. Quelle question stupide de poser à une personne comme elle, qui risquait beaucoup pour aider les autres ! Et si elle refusait ?
Mais elle me sourit. Gentiment. Je vis dans ses yeux bleu clair que je n’étais pas du tout la première à lui poser la question.
- Oui, ma douce, depuis longtemps. Tu as raison d’être appréhensive. Mais mon travail est nécessaire. Voyez-vous, depuis bientôt quarante ans, je collectionne les cicatrices et les bobos des jeunes femmes.
- Et cela fera-t-il mal ?
- Non, non, ma douce, en fait, c’est déjà fait. Tes cicatrices sont déjà les miennes. Tes bobos font maintenant partie de ma collection à moi.
Surprise, je la regardai.
Et je vis, sur cette galette sucrée, toutes les blessures que j’avais portées jusque-là.