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Le défi du samedi
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23 juillet 2016

Feu d’artifice (Pascal)


Je portais ma fille sur les épaules. Quand je courais quelques pas, elle m’enserrait le cou avec la jugulaire de ses petits bras en riant aux éclats du trot improvisé. J’avais pu me garer pas trop loin pour assister à cette apothéose du 14 juillet et nous descendions lentement vers la plage du Mourillon. Le crépuscule avait encore le bleuté caraïbe de l’horizon. Comme découpée, la silhouette de la ville se détachait lentement dans le paysage ; des brumes de chaleur s’élevaient au-dessus des toits et la rumeur grondante de la circulation semblait s’assourdir.

Comme si je voulais qu’elle ne rate rien du grand spectacle, j’avais accéléré ma cadence. On doublait les gens au grand plaisir de ma fille ; du haut de son promontoire, elle les regardait avec une forme de condescendance amusée ; elle se retournait même pour apprécier la distance grandissante qui nous espaçait d’eux. Prise au jeu, et nonobstant mes hennissements de fatigue, elle me criait des : « Au galop !... Au galop !... » exaltés dans les oreilles !
Enfin, nous sommes arrivés à un bel emplacement, un petit surplomb ; dans le calme relatif de l’endroit, on embrassait le paysage, le grand parking et les bateaux de l’école de plaisance de Toulon. Tout autour, c’était le défilé nerveux des voitures retardataires cherchant encore un endroit pour se garer. Sur les banquettes arrière, je pouvais traduire, sur les visages des gamins, toute leur excitation légitime et le malheur sidéral d’être encore emprisonnés dans les bouchons.
Sinon des effluves de la promiscuité, cette odeur de crème solaire, de friture, et d’accent parisien, poussés par des coups de vent du soir, il remontait de la plage des parfums de sable chaud et des refrains des doux clapots du ressac allant s’épuiser sur les galets.

Du haut-parleur de sa bouche enthousiaste, ma fille avait plein de questions ; et pourquoi ci, et pourquoi ça, et pourquoi le monsieur, et pourquoi le petit chien, etc. Posée sur son perchoir, elle reconsidérait le monde avec ses nouvelles prises de vue et ne pouvait s’empêcher de me tordre le visage pour que je regarde dans la direction de ses interrogations du moment.
Doucement la nuit s’était installée sur la grande rade du Mourillon ; au loin, on pouvait distinguer les hangars éclairés de la base aéronavale de Saint-Mandrier. Tout à côté, je devinais les grands piliers de la porte d’entrée du Groupe Ecole des Mécaniciens de la Flotte. Posés sur la brume de la mer, flottaient quelques bateaux de pêche ou de plaisance et on apercevait les fanaux verts falots ou rouges rances de leur bâbord et de leur tribord.
Le long de la montée de Cap Brun, l’enfilade des réverbères aux halos orangés semblait être un serpent gravissant lentement la colline. Bien sûr, la clarté de la ville empêchait d’apercevoir la plupart des étoiles mais on pouvait en distinguer quelques-unes, les plus tenaces, les plus blanches, les plus scintillantes, comme si elles voulaient qu’on les admire, semées sur le manteau de la nuit. La foule des badauds allait communier avec le Ciel…  
En échange des ténèbres naissantes, s’étaient immiscés des prémisses de silence ; les murmures se taisaient, les têtes se levaient, les piétinements s’apaisaient. Naturellement, des pressés sifflaient leur impatience mais leurs stridulations se perdaient dans la moiteur générale. Tout à coup, il s’éleva dans le ciel une fusée qui tut aussitôt l’assistance ! En avant le spectacle ! Lézardant la nuit, son explosion brutale retentit dans toute la ville, dans toutes les oreilles ! La cataracte de ses éclats pétillants alla miroiter dans toutes les fenêtres, dans toutes les pupilles ! Ce grandiose effervescent s’incrusta sur la peau en vibrations frissonnantes tellement paradoxales avec la lourdeur de la nuit ; c’était le signal du début des hostilités féeriques…  

C’est à peine si ma fille avait resserré les jambes contre mon cou ; avec son papa, elle n’avait peur de rien. Pourtant, j’ai senti qu’elle se bouchait les oreilles, trop surprise par tout ce tumulte d’éclairements bruyants. Convertie à la beauté de l’attraction, au bout de quelques secondes, elle se mit à applaudir avec frénésie.

Enfin, la nuit s’est illuminée. Tout là-haut, dans le jardin de l’obscurité, il se dépliait des bouquets de fleurs multicolores aux pétales brasillant ; des fusées montaient dans le ciel en tournoyant et, quand elles finissaient leur course folle, elles éclataient en mille scintillations crépitantes en éclats flavescents, en pétillements émeraude, en révélations écarlates. Ce soir, les étoiles filantes étaient or, argent, topaze, éméraldine…

Quand une gerbe de couleur s’éclatait en vert, je soufflais à ma fille : « Ho, la belle rouge… » et quand elle explosait en jaune, je disais : « Ho, la belle bleue… » et elle répétait en criant à la cantonade les couleurs que je lui avais murmurées. En souriant, les gens alentour se retournaient, plus intrigués par les véhémences enjouées de ma fille que par celles des pétarades célestes !...
Les échos des lumières fantastiques venaient se réfléchir dans la rade, si bien que l’enchantement se dédoublait devant nos yeux émerveillés.  Sur la mer, on admirait des pendentifs mordorés, des bijoux sertis de paillettes, des crépitations incessantes, des rivières de gemmes, des pétillements en infinies rangées de perles, des guirlandes éphémères, des strass et des brillants ; et tout cet étalage de diamantaire disparaissait dans des nuages de riche poussière. Au bouquet final, nous n’avions pas assez de nos yeux grands ouverts pour tout admirer. La nuit s’était embrasée ; elle forgeait en nous ses souvenirs inoubliables. Les lumières tapageuses valsaient dans le ciel et s’imprégnaient sur l’eau pendant cette fantasmagorie générale…  

Ma fille me tenait fiévreusement le cou comme pour se maintenir en équilibre devant tout cet enivrement d’enluminures. Sur le chemin du retour, elle n’avait plus de question. Tout ce qu’elle avait vu semblait avoir rempli son entendement de petite enfant. J’ai senti son étreinte se détendre ; j’ai récupéré ses deux mains ballantes ; sa tête s’est posée sur la mienne, elle s’est endormie. Il était temps parce que le cheval était… fourbu…

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Commentaires
B
C'est comme ci j'y étais j'ai presque regretté de ne plus aller voir ce" signal du début des hostilités féeriques… "<br /> <br /> Un texte grandiose <br /> <br /> Bravo et Merci pour ce délicieux partage Pascal
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L
C'est un texte magnifique, Pascal, un vrai "portrait" de cette chaude soirée, du feu d'artifice et de ta petite fille à l'extase si spontanée. Un portrait du papa, aussi. Tout est si juste, si beau. Merci pour cette lecture qui réchauffe le coeur.
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P
Merci pour tous vos commentaires sympas.
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J
Magnifique<br /> <br /> J aime lire tes histoires familiales si bien décrites , en affection ,en impression et en éblouissement,<br /> <br /> <br /> <br /> Mais un certain jour la vision fut horrible,,,,,
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W
Nous sommes bien contents d'avoir ce cheval dans notre écurie !
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T
Superbe texte =)
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M
"Ce soir, les étoiles filantes étaient or, argent, topaze, éméraldine…"<br /> <br /> Très beau récit, si vivant ! On ressent l'émerveillement de cette petite fille au fil de la lecture ! L'amour d'un Papa pour sa petite fille !!! <br /> <br /> Et, bien sûr on songe à ce qu'aurait pu être cette magnifique fête à Nice si la terreur n'avait pas frappé ......
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A
Et bien, moi je n'y ai trouvé qu'une bien innocente histoire d'un père et de sa fille. Comme ce que tout bon papa a connu. Merci pour ce bon moment de tendresse. Il me rappelle tellement de beaux instants magiques avec ma fille...<br /> <br /> Pour l'horreur...Comment pourrons nous l'effacer?<br /> <br /> Bon week-end.
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J
Tant de beauté, mais j'avoue qu'en lisant, je pensais revoir l'horreur revisitée - juxtaposition superbement efficace, Pascal.
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