FANFRELUCHE (Lorraine)
Quand je la vis pour la première fois, la fée Fanfreluche n’était pas plus grande qu’un pois. Mais déjà je distinguai en elle ce quelque chose qui allait la différencier du monde entier. Peut-être ce petit chapeau rouge et coquin orné d’un pois blanc ? Ou sa jupe évasée blanche elle aussi et pointillée de rouge ? Non, ce n’est pas suffisant. Fanfreluche me semblait prédestinée ; elle habitait une maisonnette dans la forêt où elle ne recevait que d’exceptionnels visiteurs. De ceux qui perçoivent l’insolite où il est et l’acceptent. Sans discuter. Parce que c’est. Point final.
Je fus, je crois, la seule amie de Fanfreluche pendant longtemps. Elle avait pour la mode un goût immodéré ; je la vis mince et brune sculptée dans une robe immaculée, parsemée de points colorés, comme s’ils étaient arrivés là en coup de vent, sans ordre, se bousculant, et d’autant plus séduisants qu’on ne pouvait ni les compter ni les toucher. Elle se posait parfois sur une branche, songeuse. Je respectais son silence. Et soudain elle chantait ; Pour elle et pour moi seule, car personne ne l’a jamais entendue. Moi, je voyais les notes s’exhaler de ses lèvres et monter comme des ballons rouges et blancs, vers l’espace, vers le ciel. Et certains soirs de lune, alors que je cherchais en vain le sommeil, sa silhouette se dessinait soudain contre la vitre, levait les bras vers l’immensité en une complainte douce et lancinante, qui me berçait. ¨Puis, ouvrant un grand manteau de velours rouge parsemé de perles noires, elle s’offrait au vent qui l’emportait, laissant un sillage de perles d’or et d’argent comme autant d’étoiles.
La fée Fanfreluche était si belle qu’un Prince de la nuit lui demanda de l’épouser. Mais elle refusa : « Je suis née pour semer l’illusion, dit-elle, à ceux qui sont aptes à la saisir. Ma tâche me suffit. Pour guérir les cœurs, il y a tant à faire » !..
Elle était donc la semeuse des pointillés, des points, des semis en une sarabande inlassable. Un jour, je cessai de la voir. Et je sus, qu’ayant épousseté ma tristesse, elle s’en était allée distraire de ses multiples créations , la mélancolie du monde.