Fils de Lumière (Pascal)
Que la Lumière soit et la Lumière fut… Arrivé tout en haut de sa passerelle, et chaque fois qu’il actionnait le gros interrupteur, c’était sa réflexion de prière. Le soir, il faut dire qu’à force de se rapprocher du ciel, avec toutes ces marches d’ascension, il avait pris des habitudes de Créateur. Qu’il neige, qu’il pleuve ou qu’il vente, un peu avant l’heure du crépuscule, il était présent sur sa dunette.
Lentement, le filament de la grosse ampoule se réchauffait entre les lentilles ; d’abord orange hésitant, puis aurore, puis tangerine, il semblait se tortiller sous la chaleur et il jaunissait enfin jusqu’à l’embrasement éblouissant. Si les lois d’Ohm régissaient l’intensité de son ampoule, lui, il n’était qu’un petit bonhomme, au milieu de l’Univers, régi par les seules forces de la Beauté. Ce spectacle extraordinaire, ce Grandiose, il ne s’en repaissait pas ; accoudé à la rambarde, il était comme un jeune capitaine de goélette fixant l’horizon, cherchant l’escale la plus parfumée et ses fleurs les plus exotiques.
Battus par d’énormes vagues, les rochers exhalaient le souffle de l’océan et toutes les essences sauvages remontaient jusqu’à ses grands soupirs de respiration. Entre les borborygmes du ressac, il pouvait discerner les effluves des crinières de goémon, l’odeur des crustacés accrochés entre les pierres, les parfums farouches du mouchoir brodé de l’écume jaillissante.
Du côté du coucher de soleil, l’horizon n’était plus qu’un brouet de couleurs finissantes. En débarbouillant l’ambiance, il pouvait distinguer tout l’échéancier des rouges ; safrané, vermeil, pourpre, cuivré, pensait-il. Les verts avaient d’autres nuances plus bucoliques : prairie, pomme, émeraude, au tableau de ses aspirations.
Naturellement, les jaunes avaient tous fondu en or évanescent ; ils incendiaient les nuages en colorant leurs volutes de fauve, de topaze, de saphir et d’autres couleurs aussi, mais dont il n’avait pas les mots appropriés. Il se disait que même les plus grands poètes n’auraient jamais assez de toute leur encre pour rimer cette apothéose ; que les plus grands peintres useraient tous leurs pinceaux pour tenter de concurrencer la Nature ; que les plus grands musiciens devraient inventer des notes, des instruments, des accords, pour arriver au pied de cette symphonie féerique.
Lentement, les bleus s’harmonisaient avec l’obscurité. Plus que tout, il aimait ces bleus de coruscation azurée, ces bleus pastel, ces bleus profonds et il pensait que le Ciel avait la couleur des abysses, et les étoiles de mer se réfléchissaient au soleil de la nuit, et les vagues maquillées de clair-obscur étaient des nuages clandestins découvrant la liberté de l’azur, et le sillage argenté et rectiligne des bateaux fantômes était les traits des avions supersoniques.
Quand la lune s’invitait au spectacle, il était un Pierrot transi lui lançant son échelle de lumière à chaque tour de son manège. Sur le bout du cœur, il connaissait tous ses quartiers, tous ses caprices, toutes ses simagrées d’embrumée et tous ses clins d’œil de demoiselle sur la balançoire des ténèbres.
Tout là-haut, les premières étoiles s’arrangeaient avec leurs signes cabalistiques ; pourtant, il en découvrait toujours des nouvelles. Les craintives, comme il les appelait ; elles clignotaient, elles passaient en filant ou elles stationnaient si loin qu’il ne savait plus si elles étaient réelles ou du fait de son imagination de scrutateur admiratif.
Parfois, une lointaine et gutturale sirène de bateau courait sur les vagues pour aller saluer son faisceau d’illumination. Et si sa pipe fumait un peu plus fort, s’il toussait d’un enrayement de gorge et s’il avait quelques frissons incontrôlables, c’était ce Grandiose tellement omniprésent, tellement fascinant, qui l’assaillait d’un Bonheur incandescent. Semée aux quatre coins de l’Univers, la poudre d’argent éclairait son firmament
Que la Lumière soit et la Lumière fut…