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Le défi du samedi
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30 avril 2016

FEUX (EnlumériA)

 

      Comment nous nous sommes rencontrés ? C’était un soir d’été. Je trimbalais un ennui distingué du côté de Saint-Hilaire de Riez où j’étais parti passer quelques jours. C’est ma sœur qui m’avait exhorté à prendre l’air ailleurs comme elle disait. Elle insistait depuis pas mal de temps déjà en expliquant que de rester cloîtré entre ma télé et mes plantes vertes finirait par nuire gravement à mon moral. Las de ses calembredaines, j’acceptai sa proposition et les clés de sa maison en Vendée.

      On donnait un bal avec de vrais musiciens, pas ces stupides Disc-jockeys qui ne font ni plus ni moins que de jouer du phono comme disait l’oncle Édouard.

      Près de la buvette, je remarquai une femme magnifique, toute en blondeur et en grâce. Vêtue d’une robe blanche et coiffée d’une capeline hippie chic. Je m’approchai, commandai une bière et je me lançai à l’eau, le cœur battant. Deux ou trois banalités jetées à l’emporte-pièce. L’air de ne pas y toucher. J’évoquai le climat, la douceur de l’air, les senteurs océanes sur un ton désinvolte et faussement blasé. Elle répondit avec un inexprimable sourire dans la voix. Son regard scintillait. Sa longue chevelure dansait sur ses épaules nues. La conversation prit peu à peu naissance, sans qu’on y prenne garde. Pourtant, la conversation est un art où d’habitude je n’excelle pas. Sauf peut-être quand je m’adressais à mes plantes vertes. Mais ce soir-là, je ne sais pas, je sus sans doute me montrer brillant.

      Il arriva que l’orchestre enchaîne sur un tube des années 60. Le chanteur fit quelques blagues à propos des vieux couples qui s’étaient rencontrés sur ce slow. C’était un humour un peu lourdaud, mais il se fit pardonner ensuite par son interprétation de A Whiter Shade Of Pale. J’invitai la dame à danser après m’être présenté. C’est la moindre des choses vous savez. J’appris qu’elle se prénommait Viviane. J’aurais tellement souhaité être son Merlin et j’allai le lui avouer lorsque tout à trac, elle m’apprit qu’elle était mariée. Que monsieur devait la rejoindre dans quelques jours, deux ou trois peut-être. Retenu à Paris par son travail.

      Avez-vous déjà entendu un chargement de bidons métalliques tomber d’un camion ? C’est à peu-près le bruit que fit mon âme ce soir-là. Voilà déjà une demi-heure que je me faisais un film et la séance s’achevait brutalement. Le coup de foudre, quand vous le prenez en pleine gueule et qu’il se révèle sans avenir… Pfff ! Plutôt le choléra !

      Nous nous sommes quittés « bons amis » comme on dit. J’eus droit à une cordiale et chaleureuse poignée de main et à un « peut-être un de ces jours » qui me glaça le cœur. C’était sans compter la force du destin ou une suite de miraculeuses coïncidences. 

      Je croisai le couple reconstitué quelques jours plus tard, sur la place du marché. L’on m’invita à prendre l’apéritif à une terrasse. Je fus très embarrassé de trouver le mari sympathique et plutôt bel homme. J’aurai tellement aimé tomber sur un pandour mal dégrossi. J’appris qu’il était artificier et travaillait pour une entreprise de la région parisienne. Les feux d’artifice, c’était son rêve d’enfant réalisé. Ce type avait toutes les veines et moi, j’étais éperdument amoureux d’une femme inaccessible.

      Nous nous revîmes assez souvent. J’étais devenu l’ami du couple. Celui qu’on invite le dimanche midi et qui apporte le vin pour le mari et le bouquet pour l’épouse. Vous pourriez croire que je souffrais de cette situation mais pas du tout. J’en étais le premier surpris et j’en arrivais à la conclusion que l’amour que je portais à cette femme était tellement pur, tellement sincère, que le simple fait de la voir heureuse me comblait de bonheur.

      Et puis, il y eut l’accident. Cela arriva pendant le réveillon de la Saint-Sylvestre. À l’heure du champagne, le mari avait organisé un petit feu d’artifice impromptu dans le jardin. Je ne sais pas si ce fut l’abus d’alcool, un défaut de fabrication ou la fatalité, mais une fusée dévia de sa trajectoire et retomba sur nous, enfin… surtout aux pieds de Viviane. Sa robe s’enflamma. La fête était finie.

      Elle sortit de l’hôpital quelques semaines plus tard. Son beau visage et son bras gauche portaient des stigmates irréparables. Elle avait été brûlée au troisième degré, il s’en était fallu de peu qu’elle ne perd l’usage de son œil gauche. Les chirurgiens avaient accompli des miracles, mais à l’impossible nul n’est tenu.

      Peu de temps après, ce mari si aimant la quitta, prétextant je ne sais quel prétexte futile ou absurde. Pauvre type. Je lui en voulu presque sur le moment. Mais l’homme est une espèce qui aime briller en société. Et comment être populaire avec une femme défigurée à son bras.

      Voilà ! Vous savez tout. Ah ! Je l’entends qui revient. Nous allons pouvoir prendre l’apéritif. Dieu que j’aime cette femme.

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Commentaires
M
Bravo Enluméria et pas de souci pour l'erreur dans le choix du sujet. Ce feu d'artifice t'a vraiment inspiré de superbe manière !!!
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P
L'Amour est aveugle ! Belle aventure ; je me fais toujours balader au bout de ton écriture. Il me semblait être à la place de ce héros de porcelaine parce que j'aurais fait tout pareil...
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V
c'est du vécu!!
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M
Très belle façon de raconter cette rencontre et ses suites !
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B
Magnifique que c'est beau l'amour le vrai <br /> <br /> Merci et Bravo de nous donner un peu d'espoir EnlumeriA
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J
Une belle histoire à la morale saine, une magnifique façon de faire mordre la poussière à un ingrat superficiel
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J
Moralité : quand le destin et l'amour vous appellent, Vendée tout ! ;-)
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C
Un récit très visuel....décrivant les us et coutumes d'un avant hier très proche....<br /> <br /> Un recit avec une pointe de vitriol sur la belle image du mari....artificier artificiel et superficiel, <br /> <br /> ....
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A
Magnifique dénouement d'une grande humanité, et peut être d'une très vraie réalité.
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W
Après s'être refusée, elle revient en fusée...
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E
J'ai vraiment cru que le sujet était le feu d'artifice. Pas la poussière. :)
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V
J'ai bien aimé cette histoire et c'est au premier degré que je m'y suis brûlé !
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J
Histoire qui ferait un film agréable et sans doute très vendeur. Chapeau !
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