Les voiles latines (Clémence)
En ce jeudi d'avril, le ciel était d'un bleu splendide et la mer quelque peu agitée. Les plages et les rues bandolaises étaient désertes.
Nous allâmes directement au restaurant, dans une rue parallèle au Quai.
Il s'assit en face de moi. Il leva son verre de vin. Rouge. Il regarda droit dans mes yeux. Bleus. Il me dit :
- Je viens de recevoir le bulletin d'inscription pour les Régates.
Je le regardai droit dans ses yeux. Bruns. Je ne répondis pas, mais je me saisis de mon arme de choc : mon sourire.
Je l'avoue sans pudeur, j'aime la Méditerranée. Bleue. Elle est notre mer à tous. Mais je reconnais humblement que je suis une terrienne invétérée. Pour cette raison, des nœuds d'appréhension envahirent immédiatement mon ventre. L'an dernier, j'avais vécu deux expériences mémorables: une panne de moteur sur une mer déchaînée et une chute non moins spectaculaire dans l'eau du port due à deux pare-battages récalcitrants.
Des amis entrèrent et nous rejoignirent à table. Les conversations convergèrent vers les bateaux et leur carénage. Je me régalais des mots qui chantaient comme dans un livre d'images : voile latine, plat bord, bordage, capian, calfatage, membrure, jambette, safran….
L'ambiance était chaleureuse et je me risquai à les faire virer de bord avec une question impertinente :
- Quels sont vos plus fameux souvenirs ?
Gérard commença à narrer un voyage vers la Corse et la tempête qui se leva en pleine nuit. J'étais toute ouïe. Je frémissais et grelottais de froid avec son équipage. Je vivais avec eux ces heures interminables. Je soupirai d'aise lorsqu'il décrivit la mer d'huile au petit matin.
Il enchaîna avec sa chute dans le port en pleine nuit de février. Chute qui aurait pu lui être fatale. Mais, finalement, il ne s'en est pas tiré trop mal puisqu'il est aujourd'hui avec nous, à table.
Jean-François raconta à son tour son périple et ses avaries près des Iles Baléares. Tempête et tourmente. Bateau retourné. Moteur en panne. Il raconta son arrivée dans un petit port espagnol, l'aide qu'il avait sollicitée auprès d'un pêcheur et l'ingratitude de celui-ci. Il termina son récit par le départ presque rocambolesque, le lendemain au petit matin.
J'en conclus que la Méditerranée n'était pas une mer à prendre à la légère. Presque fermée et sans marées spectaculaires, elle peut se déchaîner avec une vitesse et une violence fulgurantes.
Le repas touchait à sa fin. Nous nous séparâmes avec la promesse de nous revoir bientôt.
Nous partîmes vers le quai. Avec malice, j'imaginais la Méditerranée se venger de notre médisance en me privant d'une sortie en pointu jusqu'à l'Ile de Bendor.
Il repoussa une mèche de cheveux collée sur mes yeux et me demanda :
- Qu'est-ce que je réponds pour les Régates ?
- Euh….la Baie est-elle … très …. profonde ?
Avec toute ma sympathie pour Gérard, Jean-François, Sophie, Jean et tous les amoureux de la mer et des Pointus.