LA PORTE DE L’AURORE (EnlumériA)
Il y eut d’abord un flash blanc et aussitôt après une brûlure atroce et l’impression d’une myriade de tenailles ardentes mordant chaque muscle, broyant chaque os.
Puis un silence démentiel et le noir de l’abysse.
Combien de temps demeura-t-il ainsi, dans ce néant inconcevable ? Souffrant mille morts, il tombait sans fin sans parvenir à comprendre dans quelle direction il allait. Une lueur au loin, comme une chandelle dans la nuit attira son attention. La sensation de chute prit fin. La souffrance s’éteignit. Il était allongé sur quelque chose qui ressemblait à de la caillasse. Une nuit épaisse et poisseuse l’entourait. Il se releva tant bien mal, un peu sonné, mais conscient. Une brutale bourrasque vint dissoudre le néant dans lequel il stagnait. Dans la nouvelle lumière crépusculaire, il se tenait debout devant une porte. Une stupide porte en bois.
Il ne comprenait rien. Où était passé la porte d’or promise par le guide ? Un doute l’envahit. Il s’efforça de l’enfouir au plus profond de son être. Le doute est l’arme favorite de Satan.
Une aube timide se leva. Tout était calme. Reprenant confiance, il s’approcha de la porte. C’était une très ancienne porte usée par le vent des siècles. Il frappa trois coups discrets comme pour ne pas déranger et attendit. Rien ne se produisit. Il frappa de nouveau, un peu plus fort.
Un rire cristallin résonna. Le rire nubile et pur d’une très jeune fille. D’une vierge.
Un sentiment de soulagement le réconforta. Le guide n’avait pas menti. Il avait triomphé. En actionnant le dispositif, il avait démontré sa bravoure de guerrier sacré. Il avait terrassé la mécréance et la mort.
La porte s’ouvrit lentement ; sans bruit. Il devina plus qu’il ne vit une aurore dorée. Une très jeune femme à la chevelure d’argent se faufila dans l’entrebâillement. Dieu qu’elle était belle. Elle le regardait avec une infinie tendresse. Lui fit un autre pas. Son cœur battait la chamade, mais il sentait une joie intense l’envahir. C’est alors qu’elle prononça quelques mots. Il fronça les sourcils. Ne venait-elle pas de lui demander de regarder derrière lui. Il obtempéra et sursauta. Une foule innombrable se tenait à quelque distance. Ceux des premiers rangs, horriblement mutilés, dégoulinants de sang, l’observaient avec un lourd regard de reproche. Les autres, derrière, semblaient de plus en plus flous et fantomatiques au fur et à mesure qu’ils s’éloignaient.
Il se tourna vers l’ange en balbutiant une question sans queue ni tête.
L’ange posa une main d’albâtre sur son épaule.
« Ô Mon petit, mon tout petit, qu’as-tu fait ? Ceux que tu vois là sont ceux dont tu as détruit l’existence par ton geste insensé. Les autres sont les enfants et les petits enfants, la descendance qu’ils n’auront jamais. Ceux qui ne verront jamais le jour à cause de ta sottise. N’as-tu pas lu le Livre ? N’as-tu pas compris le sens des mots ? Ô Mon petit, mon tout petit, maintenant, tu dois subir le châtiment. Ce n’est qu’à ce prix que tu pourras un jour franchir la Porte de l’Aurore. »
Lui tenta quelques mots sans suite, mais il comprit qu’il était trop tard. Qu’il n’y avait de pardon possible qu’après avoir expié.
« Tu devras revivre chaque mort, chaque agonie. Tu ressentiras la douleur de ceux dont tu as détruit l’existence jusqu’à ce que les générations s’éteignent, ô mon petit, mon enfant ».
Une larme douce comme une perle fine roula sur la joue de l’ange.
L’obscurité retomba sur lui et une douleur insensée broya son corps en une myriade de fragments. Un bref instant d’immobilité ponctué par un hurlement d’épouvante et cet embrasement qui le consumerait encore et encore ; jusqu’à la fin des temps. Jusqu’au pardon final.