BRIS DE GLACE (Alain André)
De nombreux poncifs sont véhiculés depuis toujours par les pseudo-psychologues soi-disant spécialistes en vente, communication, entretiens d’embauche ou autres formations en relations publiques. Au mieux, je m’en amusais, au pire j’en haussais mes frêles articulations scapulo-humérales, tant la vacuité de ces absurdités me les « brisaient menu ».
Parmi ces joyeuses démonstrations, figure le fameux :
« Comment briser la glace(1) en démarrant votre intervention ! »
Suit une ribambelle de conseils antinomiques avec cette métaphore : Se présenter calmement, souriant, déterminé mais sans excès, etc.… ( Des conseils auxquels j’adhère volontiers, Mais quel rapport avec une quelconque glace qu’il nous faudrait briser ? ) Et d’abord de quelle glace s’agit-il ?
De l’atmosphère qui serait glacial à cause de leur extrême méfiance ? Balivernes ! 90% des gens qui vous reçoivent sont bienveillants et prêts à vous écouter, les 10% restants restent sans aucun intérêt.
« Briser » suppose une action relativement violente, quoique virtuelle, des outils ( un marteau, un pic à glace ) pas vraiment l’image de sérénité que vous êtes censé instaurer !
Comme le disait Al Capone : « Si tu veux obtenir quelque chose de quelqu’un, il faut lui demander poliment, mais si tu es poli et armé, c’est beaucoup plus efficace »
Et nos « psychopapéticiens » de nous prodiguer d’autres bons vieux lieux communs : Par exemple : « Vous n’aurez jamais une seconde chance de faire une première bonne impression » Ben oui, c’est évident ! Une première fois, par définition ne pourra pas se faire une seconde fois ! Mais rien n’interdit de faire une bonne seconde, voire une troisième bonne impression à quelqu’un, même si la première n’était pas bonne ! Mieux vaut tard que jamais !
Et de t’énumérer les trois « trucs » (infaillibles) pour y parvenir : Les trois premières secondes, les trois premiers mots… Avez-vous remarqué l’importance du chiffre trois dans notre vie ? Incontournable, omniprésent ! Jugez-en plutôt : Signal de départ : « un deux trois, partez ! », les trois coups pour annoncer la pièce de théâtre, les trois points de suspension, ceux des francs maçons. Notez qu’il y a souvent 3 options, 3 ingrédients indispensables (ex : le poivre, l’oignon et l’ail.) Triplettes, trios, triades, Triumvirats, que de trois ! Mais allumer trois cigarettes à la file autour de soi, ça porte malheur ( bon, de toute façon, ça donne le cancer ! ) Et le signe de croix, cher aux chrétiens : Au nom du père, du fils et du Saint-Esprit : Trois ! Curieuse énumération car la croix possède quatre branches, curieux hommage, que vient faire le Saint-Esprit avec le père et son fils… Bien sûr, sa mère compte pour du beurre, suis-je bête ! Mais…Le père non plus, n’y est pour rien, parait-il ! Bon, c’est simple, on fait un coup pour Saint, un coup pour Esprit, et ça fait quatre !
Enfin, bref, revenons en à notre bris de glace ! Ces « experts » nous assurent pouvoir briser cette fameuse glace en trois secondes et trois mots ! Pas plus, pas moins ! C’est tout à fait ridicule.
Briser la glace ! Pour ma part, j’ai souvent eu envie de casser les miroirs chez moi : Chaque fois que je passe devant, y a un vieux type qui me regarde bizarrement… Et ça m’énerve !
Non, allez, laissons les bris de glace aux assureurs, et, tiens, allons chez Octave prendre une bonne glace à la crème, que nous pourrons faire fondre avec une langue hardie.
Ou peut-être, entrons dans un bar place de Brouckère : « Garçon…Un scotch avec des glaçons, S’il vous plait! »
(1) : De fait, la locution semble être utilisée, rarement, en France du moins, pour « rompre sa timidité et parler en premier à une personne, à un groupe » (cf. le Littré). Ou encore : « Dénouer une ambiance tendue en lançant une discussion ou une animation collective (cf. wikitionaire) ».