Tout n'est pas perdu, parfois c'est retrouvé (par joye)
Travailler dans un bureau d'objets perdus n'est pas toujours évident.
Tout d'abord, je suis tellement entourée de parapluies, de chapeaux, de serviettes, de livres, de manteaux et j'en passe qu'il est souvent impossible que j'y passe !
En revanche, c'est un boulot qui a ses récompenses.
Par exemple, quand je peux rendre un bambin à sa jeune mère ahurie - ne riez pas, cela arrive assez souvent - la joie est perceptible. Cela dit, j’ai fait des bêtises. Au début, puisque l'objet retrouvé n'avait pas de valeur calculable, je n'ai pas obligé la première à payer pour récupérer son bébé. Erreur ! Bien sûr que je devais ensuite changer de règlement, parce que, après que la nouvelle a circulé, j'avais, dès l'ouverture, plusieurs « inventeurs » ou parfois une « inventrice » qui venaient déposer un enfant "perdu" et miraculeusement, la maman venait toujours le jour même, juste avant la fermeture, pour récupérer l'enfant « perdu ». Eh oui, j'ai commencé à avoir mes doutes quand lesdits « inventeurs » arrivaient en pyjama le bébé sous le bras et avec un biberon tout chaud prêt à donner...je veux dire, quelle coïncidence, hein ?
Alors, je dois maintenant être beaucoup plus stricte. Mais cela n'empêche pas que j'ai encore des clients intéressants.
Mardi dernier, vers 13 h 42, un vieux s'est présenté pour m'annoncer qu'il avait perdu l'ouïe. J'ai dû crier très fort pour lui faire comprendre - enfin ! - qu'il s'était trompé d'adresse et que le cabinet de l’ORL se trouvait en face.
Mercredi, une jeune nénette qui avait de ces rondeurs est venue pour me dire qu'elle voulait perdre quelques kilos. Malheureusement, quand je lui ai expliqué que mon boulot était de lui rendre ce qu’elle avait perdu, elle s’est fâchée et s’en est allée en claquant la porte.
J’avoue que c’est plus intéressant quand il y a quelqu’un qui a perdu quelque chose de facile à remplacer, comme la patience, par exemple. Je garde une petite bouteille de Xanax sous le comptoir qui marche toujours dans de tels cas. Le charpentier qui m’a dit qu’il avait perdu la main s’est calmé quand je lui ai passé une tronçonneuse oubliée chez une dernière victime par un tueur inattentif. Et pour ceux qui ont perdu une bonne occasion de se taire, j’ai toujours quelques rouleaux de sparadrap pour éviter qu’ils répètent l’erreur.
Donc, oui, c’est un travail fascinant, mais ce n’est pas pour tout le monde, non.
Ce matin, par exemple, il y avait encore une fois du sang partout et je devais sortir ma serpillière et le flacon d’eau de Javel avant d’aller prendre mon café. Qu’est-ce qui s’est passé, vous demandez ?
Vous allez rire quand vous voyez à quel point c’est facile. Voyez-vous, c’était le corps d’une jeune femme qui est entrée -- le sang jaillissait encore de ses artères et ses veines exposées à l’air. Pas besoin qu’elle m’explique, j’ai tout de suite compris ce qui s’était produit.
C’était encore une nénette de retour de St-Jean, qui avait été, la veille, serrée dans des bras audacieux. Comment ne pas perdre la tête, hein ?
J’ai alors pris un entonnoir, je l’ai mis dans l’œsophage grand ouvert et j’y ai remis un litre de sang-froid. Ensuite, je lui ai retrouvé une jolie tête blonde que j’ai recousue sur ses épaules avec un bon fil blanc solide, et elle est repartie, en fredonnant.