Au Bazar du Bizarre (par joye)
Pendant deux ou trois ans avant de me marier avec une petite veuve charmante, je vendais des curiosités au Bazar du Bizarre. J’étais aimable avec tout le monde, certes, mais de temps en temps, il y avait des clients qui méritaient une réception spéciale. Gaston-Auguste Condé fut un tel client. Le jour où un autre client me le présenta, exigeant le secret de la richesse, je reconnus tout de suite quel service il fallait lui offrir.
Après qu’il paya, je lui priai de me suivre.
- Par là, monsieur, lui fis-je en indiquant qu’il passe par le rideau orné de perles.
Au fond de la petite pièce se trouvait ma vieille Gertrude, fidèle au juchoir.
- Bonjour ma belle, voici monsieur Condé, il cherche la richesse, peux-tu l’aider ?
Ma vieille ne nous déçut pas. Elle agita ses ailes et puis nous fit une petite aria digne d’un opéra africain. Son bec orange ouvert tout grand luisait dans l’obscurité.
- Béouk, gouah, gouah, gouah, béééé-OUK !
Quand elle termina son chant, je demandai au client de tendre la main, afin que Gertrude vienne lui révéler son secret.
- Ah non, monsieur, faudra que vous ôtiez d’abord vos gants ! ajoutai-je. Ma belle amie n’aime pas sentir du cuir sous ses talons.
Condé m’obéit de mauvaise grâce et Gertrude vola directement de sa perche à la paume cupide tendue vers elle.
Et puis rien.
Visiblement, Condé s’irritait, mais juste avant qu’il crie à l’escroc, Gertrude lui posa, au beau milieu de sa paume, une superbe fiente gluante. Puis elle retrouva sa perche et commença à murmurer doucement dans sa langue inconnue.
- Voilà, monsieur, la fortune vous a souri ! criai-je. C’est une merveilleuse réponse ! On y voit du gris ET du vert ! C'est exceptionnel ! Vous avez eu bien de la chance aujourd’hui, monsieur.
J'avoue que ce même rite datait du premier client recevant le service. Or, le tout premier dupé se rendit tout de suite compte qu’il pouvait, à son tour, duper quelqu’un d’autre. Condé ne faisait pas exception. En fait, son sourire étrange devint de plus en plus grand. Je savais alors qu’il serait bientôt de retour traînant une autre « victime » aveuglée par l’avidité humaine.
Le lendemain, sans faille, Condé se présenta devant la porte quelques minutes avant l’ouverture. Je vis tout de suite qu’une dame l’accompagnait. Bizarre. En principe, on arrivait avec un copain ou un collègue. Elle avait l’air d’une femme détrompée, et le regard dans ses yeux raconta toute une longue vie d’abus émotionnel. Encore une humiliation, quelle différence ? me disaient ses yeux fades.
Par pitié, j’ouvris avant l’heure, et les reçus aussi élégamment que possible. Condé paya et poussa sa femme – qu’il avait sèchement présentée comme « Yolande » sans s’inquieter d’honorifique - vers le rideau perlé.
Gertrude ne nous déçut pas. Son aria était magnifique, sa plus belle, sans doute aucun. Même madame Yolande remarqua la beauté de ce chant et nous vîmes, Gertrude et moi, l’étincelle d’une larme sur sa joue. Condé, lui, ne remarqua rien de la sorte, s’impatienta, et se mit à tirer la main nue de sa femme vers l’oiseau.
Alors, Gertrude abrégea et s’envola vers la dame, se posant délicatement sur cette main cruellement usée au service d’un abruti.
Quand Gertrude retrouva sa perche quelques minutes plus tard, il se trouva, miraculeusement, dans la main de ma pauvre Yolande, un grand œuf resplendissant, tout en or. La fortune, la vraie, lui avait enfin souri.
Je dis cela en toute connaissance de cause, messieurs-dames, parce que par terre se trouvait aussi la dépouille ignoble de Gaston-Auguste Condé, foudroyé par un choc inexpliquable ce matin-là au Bazar du Bizarre.