Bruits de couloir (Walrus)
Voilà, la messe est dite, ils m'ont posé sur le radiateur en attendant le passage de la charrette des immondices.
Non, je ne me trompe pas, à la mairie, ils ont viré économie durable, ils ont remplacé le camion-benne par un percheron tirant une charrette. Ça me rappelle ma jeunesse, au temps des hussards noirs de la République. C'est vous dire si j'en ai fait du service ! Et si j'en ai vu défiler des garnements.
Au début, ça se passait dans l'ordre, le calme, le silence. Les élèves arrivaient rangés par deux, s'arrêtaient devant leur crochet personnel (des étiquettes aussi j'en ai vu défiler), y accrochaient leurs vêtements, récupéraient leur tablier et patientaient jusqu'à ce que le maître leur donne le signal de pénétrer dans la classe.
Avec le temps, les choses se sont progressivement gâtées, de plus en plus de bruit, de bousculades, jusqu'aux temps actuels où je me suis retrouvé vachement peinard vu que la majorité des gosses déposés devant l'école par des parents en voiture débarquent dans le couloir la capuche de leur sweat enfoncée jusqu'aux yeux et entrent en classe en s'envoyant des beignes et sans se défringuer (sage précaution car la fauche règne en maître dans l'établissement et celui qui abandonnerait son Superdry à ma garde risquerait fort de ne jamais le revoir sauf sur le dos d'un autre).
Une autre raison de cette désaffection, c'est que les boules surmontant mes crochets et servant à éviter de trouer le tissu sont un peu grosses pour les attaches de suspension (les Belges disent "lichettes" et Hervé Bazin "accrochettes") dont les dimensions semblent diminuer au fur et à mesure que les prix des vêtements augmentent.
J'aurais pu continuer ma petite vie bien tranquille sans l'affreux "Jojo Macdo". Ses condisciples l'appellent ainsi parce qu'il arrête pas de s'empiffrer de saloperies bien grasses et sucrées, ce qui fait de lui le poids lourd de la bande (z'auraient pu l'appeler Tyson cet aspirateur à sucreries! Ah non, l'aspi, c'est Dyson).
En plus d'une masse impressionnate, le Jojo est doté d'un caractère de cochon, ce qui peut sembler logique. Il se frite avec tout le monde, y compris avec le maïtre qui, pour être passé de ce statut à celui d'instituteur puis d'instit puis de professeur des écoles avant de sans doute bientôt se transformer en technicien supéreur en pédagogie appliquée, n'en a pas moins ses nerfs.
Si bien qu'à la dernière saillie du gros, il l'a empoigné à deux mains, soulevé du sol et suspendu à un de mes crochets dans un mouvement digne d'un haltérophile spécialiste de l'arraché.
Le choc a été trop rude pour ma vieille carcasse et en fait d'arraché, c'est moi qui l'ai été, du mur.
Voilà pourquoi j'attends sur mon radiateur.
Mais tout n'est peut-être pas perdu, paraîtrait que le vintage a son petit succès aujourd'hui (n'est-ce pas JAK ?) ! Alors, j'ai pas trop les boules...