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Le défi du samedi
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29 novembre 2014

Une certaine idée de la danse (EnlumériA)

Je vins au monde aux soieries Abraham, en 1925, quelque part dans la vallée du Rhône. Cette période ma jeune vie est assez floue. J’ai le vague souvenir d’une origine animale puis de mon passage dans d’étranges machines composées de cadres et de rouleaux enchevêtrés et virevoltants dans une stupéfiante danse mécanique. Je me souviens avoir peu à peu acquis ma couleur hyacinthe et ma forme définitive quelques mois plus tard. Lorsque je fus devenu une splendide écharpe, on me plia soigneusement et l’on me déposa dans une boîte de carton fleurant la colle fraîche et l’encre d’imprimerie. Je revis la lumière peu de temps après quand une modiste niçoise m’exposa dans sa vitrine. Je n’attendis pas longtemps pour qu’une cliente de passage m’adoptât par un bel après-midi de mai contre monnaie sonnante et trébuchante. C’est là que je pris conscience de ma véritable valeur.

La dame, fine et gracieuse malgré ses 50 ans, semblait survoler le sol plutôt que d’y marcher. Quelle sensation que le contact de son cou gracile et le doux balancement de sa démarche de danseuse. Malgré les deux tours que je faisais autour de son cou, je battais de mes pointes ses mollets gracieux, juste en dessous de l’extrémité de sa robe de lin.

Dès lors, ma vie fut un tourbillon de lumières, de rires et de musique ponctuée de phrases chantantes susurrées d’une voix de contre-alto par ma maîtresse. Étrange destin que celui d’une écharpe de soie hyacinthe devenue la parure d’une star aux pieds nus, vieillissante et bisexuelle.

Un jour, ma maîtresse s’enticha d’un garagiste du nom de Benoît Falchetto de vingt ans son cadet. Décidée à croquer son jeune mécanicien, elle acquit sur son conseil une Amilcar GS 1924, élégante automobile bleu azur équipée de gracieuses roues à rayons, prétexte à multiplier les rencontres avec son prince de la mécanique.

Un après-midi de septembre, sous un soleil propice aux amours improbables, Isadora m’enroula autour de son adorable cou et quitta son studio de danse au volant de son Amilcar, la tête pleine d’indicibles projets. J’entends encore ses dernières paroles : « Je vole vers l’amour !  » Le cœur rempli d’allégresse, elle me laissa danser au vent de son bolide. C’est en arrivant sur la Promenade des Anglais que, mue par une curiosité soudaine, je m’approchai inconsidérément de la roue arrière droite. La griserie de l’air filant autour de moi s’interrompit si brutalement que j’en ressenti un douloureux tiraillement. Par un incompréhensible concours de circonstance, je m’enroulai autour de cette roue de malheur sans parvenir à lâcher la gorge d’albâtre que j’ornais de ma chatoyance. On raconte que la soie dont je suis faite est une des plus résistantes au monde et que c’est pour cela que ma dame trouva la mort, la nuque brisée net.

Ainsi s’acheva ma destinée d’écharpe de soie et l’existence d’Isadora Duncan morte d’avoir été trop élégante et trop amoureuse de la vie.

 

Évreux, 27 novembre 2014

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Commentaires
B
Quel destin tragique pour Isadora Duncan mais quel texte si bien écrit EnlumériA<br /> <br /> <br /> <br /> Bravo j'ai apprécié ce moment de lecture Merci
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J
Une fashionable qui se distingua par une fin pas très élégante
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V
je ne regarderai jamais plus les écharpes de la même manière elles ont maintenant toutes une âme
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K
beau couple à nous deux sur mon solex ta barbe mêlée dans mes cheveux !! je suis morte de rire !
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K
idem pour moi avec mon solex !! et mon écharpe !! <br /> <br /> comme quoi !<br /> <br /> maintenant je fais attention avec mes longs cheveux !!(lol)
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E
Merci de vos appréciations. Pour l'anecdote, j'ai entendu parler de cette histoire aux alentours de 16 ans. A l'époque, je dévalais les rues de Cormeilles-en-Parisis à mobylette avec une interminable écharpe autour du cou. C'est la mère d'un copain qui m'a incité à la prudence en me racontant cette navrante histoire.
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Y
triste fin...
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Z
Il va de soi(e) que cette participation ne pousse pas à rire à gorge déployée <br /> <br /> plus sérieusement j'ai particulièrement aimé le passage sur la naissance et la jeunesse de l'objet
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W
J'en ai la gorge serrée !
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V
Souvent les mythes ne tiennent qu'à un fil...
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J
Heureusement, elle n'a pas trop souffert : elle est morte sur le cou ! ;-)<br /> <br /> Bon week-end, ami ébroïcien !
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M
Belle occasion de nous rappeler la vie et la triste fin d'Isadora Duncan "trop amoureuse de la vie" par l'intermédiaire ce cette écharpe de soie ! <br /> <br /> http://youtu.be/XEkf3lBzJn4
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K
je connaissais cette histoire D'Isadora Duncan et je vois aussi la scène de l'écharpe...<br /> <br /> <br /> <br /> mais ton récit nous fait faire le chemin de la soie, <br /> <br /> <br /> <br /> il va plus loin nous plonge en ces périodes où la soie avait toute sa splendeur où chaque danseuse chaque femme très coquette et féminine aimait s'en parer ....<br /> <br /> <br /> <br /> j'adore toujours cette matière souple aérienne translucide vaporeuse et si féminine....
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J
Ah bravo !<br /> <br /> <br /> <br /> Je me souviens du film avec Vanessa Redgrave.
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