Sang-froid (Minuitdixhuit)
Mon épouse est la plus belle, la plus amoureuse, la plus intelligente et la plus riche de toutes les femmes à cent lieues à la ronde. Ai-je de la chance ? Oui. Certainement. Mais ce ne fut pas toujours le cas. Retour sur le passé.
En ce temps là, je souffrais d’une vie pénible de vagabondages, à dormir misérablement dans des fossés nauséabonds, à me protéger du soleil sous des frondaisons lugubres. Autour de moi, on se gaussait, on me méprisait, on me piquait d’un bâton pour me faire décamper. Au mieux, on me fuyait dans des cris de terreur. Certains essayaient même de m’occire, m’obligeant à me réfugier dans les endroits les plus sombres, les plus humides, les plus sordides de cette terre !
Et que dire de mes compagnons de l’époque ! Des pustuleux, des visqueux à la prétention boursouflée, qui occupaient leur temps à dévorer sans fourchettes, à copuler sans pudeur, à brailler sans vergogne…
M’était-il facile de garder mon sang-froid ? Cela ne se posait pas : je n’avais pas le choix. Mais la vie est ainsi faite qu’un jour, sans le vouloir vraiment, après des années de mauvais chemins, on en prend un autre, et qu’on y fait une rencontre. Pour ma part, ce fut sous les traits d’une princesse pas dégoûtée qui me trouva charmant.
D’un baiser tendre, elle me fit perdre mon sang-froid batracien et, depuis ce jour, pour son plus grand plaisir, j’ai le sang particulièrement bouillant.