Participation de Nhand
AU VOLEUR !
C'était devenu le sujet favori des villageois, on ne parlait plus que de ça au bistro, à la boulangerie, au terrain de pétanque ; monsieur le curé en avait perdu l'appétit, son gros bidon gavé de vin messe fondait à vue d’œil.
Mais où diable étaient passées les chaises de l'église ? Qui aurait pu être assez fou pour les subtiliser, et pour en faire quoi au juste ? D'accord, elles valaient leur pesant de velours pourpre et de bois doré. Chacun le savait bien, puisque tout le monde – ou presque – avait généreusement lâché les cordons de sa bourse pour contribuer au remplacement des vieux bancs mités, érodés par au moins sept générations de culs de grenouilles de bénitier, qui les avaient précédées.
Le mystère demeurait entier. Dédé, le menuisier, avait bien sa petite idée sur la question.
« A tous les coups, c'est les gitans, fulmina-t-il.
- Mais oui que c'est eux, rétorqua Yvette, la femme de Gilou le bistrotier. Qui veux-tu que ce soit d'autre ?
- Z'ont pas fait une descente au campement ces branquignoles de gendarmes ?
- Tu parles, s'exclama Gilou. A part organiser des tournantes à la caserne avec les putes de la belge ou chercher des poux aux gens honnêtes, i' sont bons à quoi ?
- Quand j' pense au nombre d'heures qu' j'ai grillées pour les fabriquer... J'ai jamais compté les nuits blanches mais y en a eu un paquet !
- Ah ça, c'est sur...
- Y a qu'à les éradiquer de la surface de la terre, ces cafards, j' comprends même pas qu' l'autre con les laisse en liberté.
- Qui ça ?
- Scooterman, tu sais bien, qui squatte l'Elysée à nos frais.
- Ouais, ça s' voit qu'i' sait pas c' que c'est d'avoir sa baraque vidée par les voleurs, lui.
- Penses-tu ! L'est bien trop occupé à forniquer à gauche, et même à droite.
- Et avec ça, c'est nous qu'on lui paie son caviar, qu'i' s'étouffe avec !
- Ou alors, c'est les routiers, s'en mêla Denis, le charcutier.
- Les routiers...
- Qu'ont piqué les chaises !
- C'est pas bête, ça...
- Moi, j' l'ai dit hein, j'étais sûr qu'en construisant cette aire de repos à l'entrée du village on allait avoir des embrouilles !
- En plus, i' sont tous louches, ces zigotos-là.
- Ouais, des arabes, des albanais, des kosovars, des machins qu'on sait même pas d'où ça sort.
- Et c'est facile pour eux, i' s'y mettent à plusieurs, i' fracassent la porte de l'église en pleine nuit, i' chapardent les chaises, i' les mettent dans leurs camions... Ensuite, i' r'partent... Ni vu, ni connu !
- Vivement 2017, qu' la Marine nous débarrasse de tous les profiteurs ! »
Dédé eut à peine le temps de terminer sa phrase que des visiteurs inattendus firent irruption dans le bistro et s'approchèrent du comptoir : le maréchal des logis chef Bouzon en personne, escorté des brigadiers Comard et Miteau.
« Monsieur Mollard ?
- Oui, qu'est-ce qu'i' y a, demanda Dédé.
- Veuillez nous suivre, s'il vous plaît, nous avons quelques questions à vous poser.
- Bah, posez-les, y a qu' des potes ici, j'ai rien à cacher, moi !
- Permettez-nous d'en douter, monsieur.
- Occupez-vous plutôt d' trouver qui c'est qu'a vidé l'église au lieu d' venir m'emmerder...
- Ne nous obligez pas à vous menotter !
- J' suis coupable de quoi, d'abord ?
- Nous en discuterons au calme, suivez-nous sans faire d'histoires.
- Quoi encore, un excès de vitesse ? Z'êtes venus me r'tirer mon p'tit pap'lard rose ? Tenez, cadeau ! »
Dédé tira son portefeuille du fond de la poche arrière de son pantalon, en délogea son permis de conduire qu'il jeta avec force sur le comptoir. Comme il continua à vociférer, arrosant copieusement les fonctionnaires de tous les noms de volatiles, Comard et Miteau le plaquèrent contre le mur, lui enfilèrent les menottes et le prirent par le col pour l'emmener jusqu'au fourgon.
Il s'avéra que le menuisier était l'auteur du vol dont tout le monde parlait. Sa propre épouse, voulant en finir avec lui, le dénonça.
Devant le capitaine Martinet, il reconnut son geste, le justifiant ainsi : puisque le paiement total qu'il devait percevoir pour la conception des chaises tardait à lui parvenir, il eut l'idée de les subtiliser pour les revendre au noir, à des particuliers du département voisin. Il trouva par ailleurs là une occasion d'incriminer les gitans, dont la présence dans les environs lui donnait des boutons.
Nhand