Pensées (Stella No.)
"Une rose a percé la pierre de la neige
Une rose a percé la pierre de l'hiver
Galopez dans le ciel, chevaux blancs des cortèges
Une rose a percé la pierre de la neige"
Tel un mantra, je me répète ces quelques vers que ma mère se plaisait à réciter quand elle était contrariée. Je ne parviens pas à me souvenir de la suite et ça m’agace considérablement.
Remarquez : au moins j’oublie de penser à ce qui me préoccupe vraiment.
"Une rose a percé la pierre de la neige
Une rose a percé la pierre de l'hiver
Galopez dans le ciel, chevaux blancs des cortèges
Une rose a percé la pierre de la neige"
Ma valise est prête, je suis attendue à 16h. L’opération a lieu demain. J’ai peur. Je ne peux pas me défaire de l’idée que même si elle est censée me sauver la vie, cette intervention peut aussi me l’ôter.
"Une rose a percé la pierre de la neige
Une rose a percé la pierre de l'hiver
Galopez dans le ciel, chevaux blancs des cortèges
Une rose a percé la pierre de la neige"
J’ai pris quelques feuilles et mon stylo préféré. J’ai décidé d’écrire une lettre à ceux que j’aime. Je voudrais y coucher les mots d’amour que je ne leur ai jamais dit, par pudeur, par idiotie ou parce qu’on pense qu’on a toujours le temps.
C’est en lisant le livre de David Servan-Schreiber « On peut se dire au revoir plusieurs fois » que j’ai pris conscience de tout ce que je ne leur ai jamais dit.
Et si ils étaient amenés à les lire ces lettres ? Par quoi commencer ?
"Une rose a percé la pierre de la neige
Une rose a percé la pierre de l'hiver
Galopez dans le ciel, chevaux blancs des cortèges
Une rose a percé la pierre de la neige"
Une pour mon mari, une pour ma mère, une pour ma belle-mère, un mot pour mes frères, un mot pour ma sœur de cœur. Et la plus dure, c’est qui me déchire le cœur : une lettre pour ma fille. Pour la fille qu’elle est mais aussi celle qu’elle deviendra. Sans moi. J’ai peur, je pleure.
"Une rose a percé la pierre de la neige
Une rose a percé la pierre de l'hiver
Galopez dans le ciel, chevaux blancs des cortèges
Une rose a percé la pierre de la neige"
C’est l’heure. Les lettres sont posées sur ma valise dans la chambre d’hôpital. Je les ai mises dans une enveloppe où j’ai inscrit « au cas où ». Avec des petits cœurs dessinés. Pour adoucir leur chagrin. Ou le mien ?
"Une rose a percé la pierre de la neige
Une rose a percé la pierre de l'hiver
Galopez dans le ciel, chevaux blancs des cortèges
Une rose a percé la pierre de la neige"
Je ne me souviens toujours pas de la suite, mais j’ai survécu. Ma famille, mes amours ne m’ont pas quittée. Et les lettres sont restées sur la valise. Sans les relire, je les ai rangées précieusement. Pour me rappeler de dire ces mots avant que la fin ne survienne.
"Une rose a percé la pierre de la neige
Une rose a percé la pierre de l'hiver
Galopez dans le ciel, chevaux blancs des cortèges
Une rose a percé la pierre de la neige"
Maintenant, il ne reste qu’à guérir. Et à aimer.