la force d’une rose (Fairywen)
La force d’une rose.
Ce récit est la conclusion de deux autres histoires, à lire ici et ici pour les curieux.
Le chat noir sauta dans les bras de la jeune fille et se lova contre elle. Là-bas, devant eux, la scène avait changé. Le ciel paisible s’était chargé de noirs et lourds nuages, des êtres de cauchemar avaient surgi du néant et attaquaient la troupe princière, qui reculait vers le château pour s’y enfermer. Les gouttes de sang qui tombaient de la gargouille de pierre étaient devenues filet, puis rigole, puis ruisseau, et tachaient de rouge l’herbe verte. Les assaillants étaient de plus en plus nombreux, leurs crocs acérés déchiraient les chairs, et malgré leur courage, le Prince et ses hommes reculaient, jusqu’à se retrouver acculés tout en haut de la tour, ferraillant désespérément, sachant leur dernière heure venue mais refusant de se rendre sans combattre.
La jeune fille serrait le chat contre elle, des larmes coulaient de ses yeux clairs, mais que pouvait-elle faire, seule contre ces êtres, elle qui venait d’un autre monde et qui ne savait rien de celui où elle avait atterri en suivant le chat dans cette étroite ruelle ?
Elle sursauta lorsque le chat sauta de ses bras et se dirigea nonchalamment vers la tour, insoucieux du combat qui y faisait rage, et qui n’épargnerait certainement pas un petit chat.
« Non ! s’écria la jeune fille en s’élançant derrière lui, toi au moins je peux te sauver ! »
Assis au pied de la tour, près d’un buisson de roses, le chat se léchait tranquillement une patte. La jeune fille s’agenouilla et tendit les bras vers lui, mais se faisant, elle se piqua le doigt au rosier, et son sang se mêla à celui qui cascadait toujours de la gargouille de pierre. Etrangement, les vers d’un poème appris longtemps auparavant lui revinrent en tête, et elle les récita à mi-voix :
“Une rose a percé la pierre de la neige
Une rose a percé la pierre de l’hiver
Galopez dans le ciel, chevaux blancs des cortèges
Une rose a percé le pierre de la neige”
Le chat s’étira d’un air satisfait et… sourit. Oui, il sourit, comme un chat sait sourire, et le rosier se mit à grandir, grandir, encerclant la tour, tandis que la neige se mettait à tomber, recouvrant le sang de son linceul immaculé.
Au sommet de la tour, les derniers défenseurs étaient tout prêts de succomber. Au premier rang des combats, le Prince défendait les siens, décidé à résister jusqu’à son dernier souffle. Il savait maintenant que son rêve lui avait montré sa fin, et qu’il tomberait comme les autres, sous les crocs et les griffes des monstres qui avaient un jour été des humains.
Mais soudain retentit un hurlement, et l’une des créatures bascula par-dessus les créneaux, puis une autre, et une autre encore, tandis que les branches du rosier les enserraient, enfonçant dans la fourrure rêche leurs épines acérées, entraînant les créatures dans les nuages de neige où ils disparaissaient à la vitesse d’un cheval au galop.
Peu à peu, le Prince et les derniers de ses hommes baissèrent leurs armes. Occupées à lutter contre leurs agresseurs végétaux, les créatures ne leur prêtaient plus attention, et bientôt, ils furent seuls au sommet de la tour, tandis qu’un grand silence suivait le fracas des combats. Son épée à la main, le Prince se pencha par-dessus les remparts.
Il ne vit rien, rien d’autre qu’une petite silhouette près d’un buisson de roses, une petite silhouette qui ramassait une silhouette plus petite encore pour la serrer sur son cœur. Rengainant son arme, il dévala quatre à quatre les escaliers glissant de sang alors que s’évanouissait la neige, emportant avec elle les derniers vestiges de l’horreur. Le Prince ne pensait déjà plus à eux. La jeune fille s’était relevée et ses yeux et son sourire avaient capturé son cœur.
« Tu nous as sauvés, murmura-t-il.
-Je n’ai fait que réciter un poème.
-Tu l’as fait avec ton âme, et tu as libéré la magie qui dormait dans ses pierres. D’où viens-tu ?
-D’un autre monde.
-Y repartiras-tu ? »
Elle plongea son regard dans le sien, et des étoiles se mirent à briller dans ses yeux :
« Souhaiterais-tu que je reste ?
-Plus que tout au monde.
-Et lui ? fit-elle en désignant le chat.
-Il est le bienvenu.
-C’est lui qui m’a amenée ici.
-Alors il est doublement le bienvenu. »
Le Prince caressa doucement la joue de la jeune femme pour effacer les sillons laissés par les larmes et l’enveloppa du cocon protecteur de ses bras :
« Tu ne pleureras plus jamais, je te le promets, ma jolie princesse d’un autre monde… »