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Le défi du samedi
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3 mai 2014

Le vieil homme et la guitare (EnlumériA))

L’homme se tenait debout devant l’instrument. Les mains jointes devant lui, comme pour une prière silencieuse, il regardait la guitare de ses rêves et il ne savait pas quelle contenance prendre.

Quelqu’un l’avait posée là, contre la tenture persane, juste à côté du pupitre. Une Benoit de Bretagne*. Modèle à pan coupé, cordage nylon, palissandre du Brésil.

Derrière lui, une voix féminine, altière et somptueuse, prononça une injonction douce.

L’homme avança d’un pas. Il tendit le bras, hésitant comme un enfant affamé devant une pâtisserie orientale.

L’injonction, plus accentuée, se fit pressante.

Alors, il se jeta à l’eau. Il s’empara de la guitare comme un guerrier dont l’unique chance de survie aurait été d’étreindre une intime Excalibur.

Il prit place sur un pouf marocain, posa l’instrument sur sa cuisse et effleura les cordes d’une main fiévreuse. Son esprit soudain vidé de toute substance frémit. Son cœur s’emballait. Elle était là enfin, cette guitare qu’il désirait plus que la plus belle des hétaïres. Elle s’offrait à lui comme une épouse amoureuse et lui, ballot et contrit, ne savait que faire. Son âme s’impatienta.

Il plaqua un Sol mineur, enchaina avec un Ré majeur, un souffle d’hésitation, Si mineur et résolution en Fa dièse majeur par Fa 7e diminué. La trame était posée. Étrange et envoûtante.

Cela faisait combien de temps qu’il n’avait pas joué ? Cela remontait à… il ne savait plus. Pourtant, les doigts redécouvraient les chemins et les détours chromatiques des gammes altérées ou pentatoniques. Tandis que les médiums, édiles et archiprêtres de ce mystérieux royaume qui naissait sous ses doigts, administraient les mélopées et les élégies, les basses violoncellaient en cadence et les chanterelles zinzinulaient de surprenantes appogiatures. Pincées, flattées, frappées ou brossées, les cordes dansaient sous les doigts du Maestro.

Brusquement, au cœur de cet univers enchanté d’arpèges et de contrepoints, une sonnerie retentit.

L’homme sursauta. Où était passé la tenture persane ? Pourquoi faisait-il si sombre soudain ?

Sur la table de chevet, le réveil s’étouffait comme à regret en murmurant qu’il était l’heure de prendre les médicaments.

Assis dans son lit, le vieil homme contemplait ses mains nouées par l’arthrite en pleurant doucement.

 

* Benoit de Bretagne est artisan-luthier à Bernieulles, dans le Pas-de-Calais.

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Commentaires
D
Triste, triste, la fin...<br /> <br /> Et s'il changeait d'instrument ?<br /> <br /> Mon père est un peu dans le même cas, et il a décidé de se lancer dans la flûte de pan, qui ne nécessite pas d'avoir des doigts capables de courir partout.<br /> <br /> Certes, lui faisait de la flûte traversière et il reste dans le même type d'instrument.<br /> <br /> Mais, pourquoi pas ? ;-)
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J
Il faut bien se résoudre à n'être que de passage et même chez Vivaldi, dans les "quatre saisons", il y a un hiver.<br /> <br /> <br /> <br /> La réalité est un instrument à cordes pinçantes !
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N
*une bonne fois pour toutes
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N
Rêve mélancolique... Le temps passe, passe, passe... La musique reste, elle s'imprime toujours une bonne pour toute et on la retrouve toujours avec le même plaisir.
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W
Je me demandais pourquoi je n'avais jamais réussi à jouer de la guitare, je commence à comprendre... Un Fa 7ème diminué ! J'en suis comme deux ronds de flan...
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P
un texte dont on n'a pas envie de se réveiller... et pourtant je ne joue pas d'instrument de musique, seulement des pinceaux sur mes toiles....
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L
Superbe récit qui se termine par une larme. Celle du ciel homme...et la mienne.<br /> <br /> Merci, EnlumeriA
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K
non je n'ai rien envoyé car je n'avais pas son adresse mail, mais comme il a mis son adresse mail je vais lui écrire<br /> <br /> merciiiiiiiiii à vous deux<br /> <br /> bises et beau dimanche
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K
je te disais sur le défi de notre amie bongopinot que si tu veux voir les peintures comme tu l'as exprimé demande mon adresse mail à walrus ok<br /> <br /> kisss
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M
Un texte tout en finesse et en émotion. On part avec le personnage dans sa vision pleine de sensualité et de mystère avant qu'il nous ramène à sa dure réalité.<br /> <br /> Toute mon affection à l'oncle Edmond.
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E
Merci de tout cœur pour le compliment. Si les éditeurs en pensaient autant...
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B
Dure ! je ne m'attendais pas à une telle chute je suis toute émue quel texte de toute beauté le récit d'un guitariste et l'amour de son instrument tout y !<br /> <br /> <br /> <br /> Bravo Enluméria
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K
Mon Dieu que c'est beau !! et si poignant !<br /> <br /> les artistes qui ne peuvent plus peindre chanter danser ou jouer !! leur vie devient si triste , je comprends à 1000% , tu le racontes avec brio tu es un romancier né<br /> <br /> bravo je suis émue<br /> <br /> amitiés<br /> <br /> katyL
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J
Ton instrument à toi (ton texte) est cordé, lui aussi, d'amour. C'est très beau.
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V
Autant l'envolée musicale est belle, autant est triste la fin... dans les cordes. Knock out :(
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C
les chanterelles zinzinulaient de surprenantes appogiatures.<br /> <br /> Dommage que ce ne fût qu'un rêve...<br /> <br /> Mais un si beau rêve que les hanches des femmes -guitares en tremblent...
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E
Sans jeu de mot (enfin presque!), ton émouvant billet est comme enluminé par tous ces mots savants qui sont autant de touches d'or, de cinabre et de malachite.<br /> <br /> Bravo!<br /> <br /> <br /> <br /> Sourire d'Ep'
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