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Le défi du samedi
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29 mars 2014

Perception (par joye)

-          Comme c'est beau ce que l'on peut voir comme ça à travers le sable, à travers le verre, à travers les carreaux…

Je raidis instinctivement. La voix de Perpetua attaqua mes oreilles, je sentis des frissons dans le dos. Je ne tournai pas la tête. Il n’était pas nécessaire que je me retourne. Je savais qu’elle continuerait. J’avais raison.

-          Ah oui, une journée comme ça, splendide !  Mais pauvre de toi, impossible pour toi de la voir comme moi, je la vois, n’est-ce pas ?

Je restai figée comme un oiseau, attendant que le faucon passe. Je me promis de ne pas bouger, j’espérais très fort qu’elle ne remarque pas que je tremblais. Tiens bon, me dis-je. Tôt ou tard, elle repartirait. Malheureusement, ce jour-là son départ allait tarder.

-          Oui, continua sa voix. Tu ne vois rien comme moi, je le vois. Tu n’en es pas capable. Par ailleurs, j’ai les yeux de poète, tu sais, tout le monde me dit à quel point mon don pour les mots les émeut.

Elle arrêta. Fatiguée déjà de me harceler ? Je l’espérais fort. Mais non, pas de chance. Pas ce jour-là. Je la sentis encore se rapprocher de moi. Elle plaça ses mains sur mes épaules. Leur froid pénétra mes vêtements et lécha ma peau. Je sentis son parfum. Comme d’habitude, c’était quelque chose de lourd, d’écœurant. Grotesque. Le genre de parfum qu’on respirerait dans un bordel de retraite pour les vieilles putes, disait Tatie. J’étouffai le sourire nerveux qui risquait de naître sur mes lèvres. Il ne fallait pas que Perpetua remarque que je l’écoutais. Il ne fallait pas la mettre en colère.

-          Tu sais, je suis triste pour toi, tu n’es pas capable de voir, d’entendre, de parler, de vivre comme moi, tu n’as vraiment pas ma sensibilité !  Tu n’as pas mon cœur. Tout simplement, tu n’as pas d’esprit.

Comme d'habitude, sa voix trahit son irritation. Trois minutes entières passèrent en silence entre nous, je comptais les tic-tacs de la grande horloge.

 -          Bon ! s’écria Perpetua. J’ai encore fait ma bonne action, je suis venue te voir pour égayer ta stupide existence, et tu restes toujours là, muette comme une carpe ! Tu pourrais au moins sourire. Eh ben, tant pis, tu ne sais rien apprécier !  Tu es trop étourdie.  Je m’en vais !

J’attendis.  Enfin, ses pas assourdis par le vieux tapis s’éloignèrent. J’entendis la porte s’ouvrir et puis se refermer d’une petite claque accusatrice.

J’attendis encore quelques secondes pour en être sûre, et puis je me levai et m’approchai de la fenêtre. Les carreaux étaient chauds et lisses sous mes doigts. Il y avait un jeune et doux soleil de printemps qui nous réchauffait,  moi et mes deux yeux crevés.

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Commentaires
P
Je trouve que c'est un beau conte fantastique et j'ai lu tous les commentaires avec intérêt, car c'est un beau morceau de littérature...
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M
"Je me promis de ne pas bouger, j’espérais très fort qu’elle ne remarque pas que je tremblais. Tiens bon, me dis-je. " Une belle lutte interne pour résister au sadisme de Perpetua !!! Sans les yeux tous les autres sens du personnage sont en action ! Belle réussite Joye !
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D
"Je restai figée comme un oiseau, attendant que le faucon passe.." jolie métaphore<br /> <br /> ça m'arrive ce genre de sentiment.. bravo pour ton texte, quelle écriture!
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P
N'y aurait-il plus sadique que les martyrs ?... Texte très fort, qui nous tient en haleine. Finalement, c'est dans la solitude qu'on touche le printemps du bout des doigts. Un grand bravo !
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E
Magnifiquement réussi Joye !! On est "pris" et stressé par la situation et on attend vite que la porte se referme sur cette affreuse Perpetue !!!<br /> <br /> Mériterais au moins une vraie nouvelle !!! Bravo ! :):)
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W
Pourtant, son prénom de martyre aurait dû l'incliner à plus de compassion...
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M
Moi, j'ai interprété différemment de vous. Elle est aveugle, muette peut-être mais pas sourde. Elle fait seulement semblant pour ne pas être embêté plus encore par Perpetua. Une histoire poignante, un texte très prenant. Merci Joye
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B
Ne rien voir ne rien entendre ne rien dire peut-être est-elle à la recherche du bonheur intérieur <br /> <br /> <br /> <br /> très beau texte Joye
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E
Je m'interroge: comme l'héroïne est sourde, muette et aveugle ("Tu sais, je suis triste pour toi, tu n’es pas capable de voir, d’entendre, de parler, de vivre comme moi, tu n’as vraiment pas ma sensibilité !"), elle n'entend donc rien de ce que Perpetua lui dit. C'est peut-être sa seule imagination qui lui fait entendre tant de propos humiliants car si ça se trouve, Perpetua est perpétuellement gentille, mais elle ne l'a pas compris...<br /> <br /> <br /> <br /> Sourire d'Ep'
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J
Le rôle de Cruella était interprété par Joye de Ouatéverre ! ;-)
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V
Pas fâché qu'elle soit partie!! Tu vas pouvoir goûter le spectacle à ta manière, du bout des doigts... Belle interprétation, joye! J'aime beaucoup
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J
Perpétua serait-elle aveugle elle aussi ? <br /> <br /> N’a –telle pas compris que la victime qu’elle harcèle avec cruauté, à la sagesse des trois petits singes <br /> <br /> « Ne rien entendre, ne rien voir, ne rien dire » pour mieux se protéger, elle si sensible pourtant !
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A
arghh! tu parles d'un comble de sadisme...
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