Participation de Fairywen
Le roi de la forêt.
La pirogue glissait rapidement sur l'eau. Ils entrèrent dans un canal qui débouchait de l'autre côté de la rivière. Il était très étroit et l'embarcation y passait de justesse. Ils pointèrent la pirogue vers le canal. Ils avançaient lentement, tête baissée, à cause des branches qui pendaient au-dessus de l'eau. Après avoir fait une centaine de mètres, ils aperçurent, perché sur un arbre, une silhouette qui les regardait de ses yeux d’or. Les garçons se figèrent respectueusement, conscients d’avoir la chance rare d’être en présence du roi de la forêt amazonienne. Il se leva avec une grâce nonchalante, ses muscles puissants roulant sous sa fourrure tachetée. Ses griffes jaillirent, se plantant dans l’écorce de la branche sur laquelle il avait élu domicile. Tel un gros chat, le jaguar s’étira voluptueusement, fermant à demi les paupières. Il n’avait pas encore décidé s’il allait ou non laisser passer ces inconnus qui osaient s’aventurer dans son domaine.
Dans la pirogue, les garçons, serrés les uns contre les autres, ne quittaient pas des yeux le roi de l’Amazonie, parfaitement conscients que de lui dépendait leur vie ou leur mort. Le grand jaguar, à présent dressé de toute sa taille, fouetta l’air de sa queue. Autour de lui, la forêt retenait son souffle, attendant la décision de leur monarque. Un rayon de soleil se faufila à travers les frondaisons, éclaboussant d’or la fourrure soyeuse de l’animal, qui s’avançait majestueusement au-dessus de la rivière, jusqu’à surplomber la pirogue. Sans un mot, les garçons s’inclinèrent avec déférence devant lui, reconnaissant ainsi sa souveraineté. Ils avaient bien compris que ce n’était pas un simple félin qui les jugeait, mais qu’ils avaient devant eux l’esprit tutélaire de la forêt, qui pouvait frapper et tuer sans avertissement qui contrevenait à ses lois. Ils tressaillirent mais ne bougèrent pas quand le jaguar sauta sur leur embarcation et se mit à tourner autour d’eux. Il les effleura de ses moustaches sensibles, s’enroula autour de leurs jambes, conscient de leur peur et appréciant leur courage et le respect qu’ils lui manifestaient. Il avait perdu le compte de ceux qui avaient saisi leur fusil en le voyant, ne pensant qu’à s’approprier sa magnifique fourrure, et qui avaient fini sous ses griffes et ses crocs, la forêt se chargeant de faire disparaître définitivement les corps.
Mais ces garçons ne lui voulaient pas de mal, et ne voulaient pas non plus de mal à sa forêt. D’un bond souple, le jaguar regagna sa branche et poussa un rugissement qui retentit dans toute la forêt. Le message était clair : les garçons pouvaient passer. Souriants, ils relevèrent les yeux, s’inclinèrent une dernière fois devant le roi et poursuivirent leur route. Le rideau de lianes se referma lentement derrière eux tandis que la pirogue disparaissait dans la végétation.
Ce qu’ils devinrent, nul ne le sut vraiment. On ne retrouva que leur pirogue, qui dérivait lentement sur le fleuve, leurs affaires bien rangées au fond. La légende, elle, dit que depuis ce jour, trois jaguars aux yeux bleus patrouillent avec le roi de l’Amazonie…