Le livre vert (Epamine)
Le livre vert
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Il était assez moche le vieux bouquin! Enfin, moche, plus très beau, quoi!
Il avait été beau un jour, assurément, mais ça, c'était avant! Il y a longtemps, dans la pâle lueur d'un matin d'hiver, au milieu des odeurs de cuir et de colle, de papier et d'encre, de ficelle et de carton, on l'avait relié puis habillé, non pas d'une peau de chagrin (il n'était pas un triste livre!) mais d'une élégante toile d'un joli vert mordoré. Pour finir, on avait illuminé sa couvrure par le nom de l'auteur et le titre au fer à dorer.
C'est vrai qu'il était beau!
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Hélas, la toile avait jauni et le bord des pages, mille et mille fois feuilletées, avait un peu bruni (sans être Carla quand même!) depuis qu'on l'avait remisé au grenier, dans un carton, avec d'autres vieux pots et potes d'étagère dont certains étaient couleur vert-de-gris!
Mais par un bel après-midi d'avril, le carton fané fut ouvert! Le livre tout vert mais fermé fut de nouveau dans la lumière, dans le fragile rai de lumière douce et poussiéreuse que lançait l’œil-de-bœuf du grenier.
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Après de nombreux et chaotiques déplacements en caisse à porteurs, de mornes heures vides et sombres, longues comme de vilains jours sans vélin, le livre vert se retrouva enfin dans une grande caisse verte, Quai Voltaire, éclairé par le soleil d'été, sous le ciel de Paris.
Longtemps, hélas, il resta là, las...
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Septembre ou peut-être octobre. Un dimanche. Elle s'arrête devant la grosse boîte verte du vieux bouquiniste. De ses mains douces mais déterminées, elle choisit le petit volume vert, feuillette délicatement le vieil ouvrage, observe certaines pages, sourit en caressant une illustration, referme le livre avec émotion, tend quelques pièces jaunes au vieux camelot et, le visage toujours éclairé d’un discret sourire, elle emporte le vieux livre vert qui n'est plus vraiment vert d'ailleurs mais un peu vermoulu...
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De l’autre côté de la Manche, at the tea-time, sous la lumière forte, aiguë, acérée d'une lampe d'atelier, commence la gracieuse sarabande des doigts de la fée du papier.
A côté d'une tasse de thé vert, les pages du vieux livre sont mesurées, incisées, triturées, découpées, creusées, percées, roulées, collées, badigeonnées, colorées, dentelées, courbées, redressées, élevées...
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Comme par magie, l'un après l'autre, des arbres en feuilles aux branches sans feuilles, des arbres à mots, des poémiers d'automne, poussent sur les pages ouvertes du vieux livre vert.
Et sortant d'outre-page, éclairée par une luciole, une fillette d'un autre âge s'apprête à descendre du livre pour ouvrir sans bruit la petite porte secrète de son rêve de papier!
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