Le Monument (EVP)
Elisabeth De Tourville s’examinait sans indulgence dans la psyché de sa chambre.
Elle avait tellement vieilli depuis la guerre mais en cette année 64 elle avait, enfin, obtenu gain de cause. Il y aurait ici, à Bayeux, un monument au pigeon inconnu, elle avait même réussi à faire venir Malraux. Elle ne put s’empêcher une imitation moqueuse ; Entre ici Roméo…Du nom de son meilleur biset pendant cette période.
Une image d’elle se superposait dans la glace : Un foulard de soie au drapé alambiqué montant haut sur la tête, la frange soigneusement roulottée formant deux coques, le pull jacquard un peu trop court sur une jupe pas bien longue non plus (Dame ! Il fallait économiser laine et tissu), sur les jambes un badigeon de chicorée pour figurer les bas et les socquettes en fil sur les semelles de bois.
N’empêche, elle avait fière allure et ce qu’elle faisait etait si risqué mais si palpitant !
Elle avait eu l’idée de remettre en service le vieux pigeonnier au fond du potager, avec son cousin par alliance Alistair Cornwallis, venu clandestinement en 42, cela les amusait de faire faire aux oiseaux le parcours Bayeux-Hasting, celui de Guillaume le conquérant.
Les allemands avaient réquisitionné la propriété et leur avaient généreusement permis d’occuper les dépendances et de garder l’usage du potager avec le pigeonnier. Ils trouvaient assez charmants ces volatiles, tant qu’ils ne fientaient pas sur leurs uniformes, que nous prétendions élevés pour améliorer l’ordinaire. Ils n’ont jamais eu de soupçons.
Elisabeth se secoue et tire sur la veste stricte de son tailleur qui l’est tout autant. C’est vrai, c’était dur, surtout les bombardements, mais bon sang j’avais trente ans et regarde-moi ça maintenant !!
Enfin, elle y tient à son monument, elle ira de bonne grâce faire des politesses. Combien de vies sauvées grâce à Roméo et les autres…