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Le défi du samedi
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8 février 2014

STOP (par joye)

Il pleuvait à seaux. J’étais fatigué du long parcours, mes yeux pulsaient encore du mouvement hypnotique des essuie-glaces contre le pare-brise, alors j’arrêtais pour boire un café dans un de ces station-service qu’on trouve à tous les carrefours dans les grandes villes.

Je sirotai la boisson, un de ces cafés noir-dégueu qui vous font tant de bien au milieu de la nuit, le chemin à moitié entamé, à moitié terminé.

Je la vis près de l’entrée. À peine seize ans, me disais-je. Cheveux trop longs, jupe trop courte, des petites chaussures ridicules, cette espèce de godasse de merde pas chère qu’on trouve dans les magasins bon marché et qui ne protège les petits pieds de rien du tout.

Son tout était triste et mouillé comme un chat sauvage surpris par une averse.

J’attendis cinq minutes. Elle ne vint pas me demander du feu.  

Elle regardait le parking devant comme si elle attendait quelqu’un. Tôt ou tard, le propriétaire allait lui dire de dégager.

C’est dingue à quel point un homme peut s’imaginer héros. J’allais lui proposer de m’accompagner jusqu’à Chicago. Si elle allait vers Chicago. Elle allait vers Chicago, certainement.

New York la boufferait crue et elle le savait. Les filles comme ça le savent toujours.

Je me levai.

Il était temps que je reparte. On m’attendait là-bas.

Je m’approchai de la sortie. Je ne dis rien à la fille, mais je sentis qu’elle tremblait.

Je ne la regardai pas.

J’ouvris la porte, délibérément.

Elle ne bougea pas. Je cours vers ma voiture et me jetai dedans.

Encore trois minutes et elle serait là, à côté de moi, encore tremblante, comme dans un film de Tarentino. Et je l’amènerais à Chicago.

Je démarrai la voiture. Le moteur me murmurait encore, les gouttes tombaient encore sur le pare-brise comme de grosses larmes stupides.

Pendant quelques secondes, je restai hypnotisé de nouveau par le wap-wap des essuie-glace, et la pluie, et la petite stoppeuse qui n’allait pas vers Chicago.

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Commentaires
S
Il est un peu étonnant ce texte (dans le bon sens du terme): à la fois, on imagine très bien l'envie, l'attente, la presque-excitation du narrateur et à la fois, on est dérangé par l'âge, les circonstances, les risques. <br /> <br /> Étonnant, attirant et frustrant finalement :-D
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P
"New York la boufferait crue et elle le savait. Les filles comme ça le savent toujours", j'aime beaucoup cette phrase... je me suis souvent dit que New York devait manger les gens tout cru par son immensité... du coup j'hésite à m'y rendre... bravo pour ce beau texte Joyce
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E
Il y a beaucoup ce chose dans ce texte, la tristesse bien sûr, mais toute l'interrogation sur qui nous sommes, ce qui nous fait agir (ou pas) Et on pense à Godard...Et c'est bien...Et le passé simple va bien aussi...Et...Salut amie ! :):):)
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V
les rencontres hasardeuses fertiles en rebondissement , c'est peut être le début d'un roman
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M
J'ai cru voir défiler des images de films ... de ces films où la pluie devient un partenaire à part entière tant elle est en harmonie avec la fatigue, le désarroi, l'errance des protagonistes ...
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E
Que c'est joli quand tu écris: "Encore trois minutes et elle serait là, à côté de moi, encore tremblante, comme dans un film de Tarentino. Et je l’amènerais à Chicago." On sent tout l'espoir, la tension de l'instant, l'attente interminable... C'est beau comme tout le reste!<br /> <br /> <br /> <br /> Lorsque les enfants veulent raconter une belle histoire, c'est bizarre, ils tentent toujours d'utiliser le passé simple même s'ils ne le maîtrisent pas... C'est le temps des contes...<br /> <br /> Sourire d'Ep'
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J
Raymond Carver, évidemment
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J
La vie ce n'est pas comme au cinéma. En même temps on a frôlé le détournement de mineure, là, non ? Au carrefour des possibles le narrateur eût pu être tout et n'importe quoi. (Y compris une narratrice !). Donc Ouf ! Jolie nouvelle à la Raymand Carver qui serait bien illustrée par un tableau de Hooper. Comme ici : http://passouline.blog.lemonde.fr/2012/10/26/le-grand-roman-americain-est-ecrit-en-francais/<br /> <br /> <br /> <br /> L'information importante dans ton texte c'est qu'il semble pleuvoir autant aux USA qu'en Bretagne ces jours-ci ! ;-)
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F
C'est triste, en effet. Triste qu'une fille de 16 ans se retrouve là, toute seule dans une station-service au milieu de la nuit. Triste que ce ne soit pas qu'un texte mais la réalité.<br /> <br /> Pour le passé simple, je regrette qu'il soit abandonné au profit de l'imparfait, que je trouve plus lourd et moins digeste dans un texte. C'est joli, pourtant, le passé simple, et ça rend la langue française riche et belle.
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S
Avec dix dollars en poche elle attend peut-être de rejouer le rêve américain cette petite... Qui sait ce qui se cache vraiment derrière une attitude, je serais plus inquiète pour la conductrice, qui me parait être la pauvre âme que si ça se trouve personne dans ce café du bout du monde n'a remarquée.
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M
Je suis rongé de remords...<br /> <br /> Désuet n'est pas critique, ne le prends pas mal, c'est juste... triste et beau...
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M
Fabuleux. Comme j'aime. Vraiment.<br /> <br /> Bien sûr (en privé) je te dirais que le narratif au passé simple est désuet (en France), mais c'est peut-être pour cela que c'est triste et beau.<br /> <br /> Bon... La route est longue pour Chicago, si je te fais signe du pouce, tu t'arrêteras ?<br /> <br /> (Au Portugal le passé simple est très courant, comme quoi...)
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J
Merci beaucoup pour la correction de l'orthographe, Walrus, cela m'a embêtée toute la semaine. Cela expliquera aussi pourquoi madame Taubira ne m'aurait pas téléphonée, furax. ;-)
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