STOP (par joye)
Il pleuvait à seaux. J’étais fatigué du long parcours, mes yeux pulsaient encore du mouvement hypnotique des essuie-glaces contre le pare-brise, alors j’arrêtais pour boire un café dans un de ces station-service qu’on trouve à tous les carrefours dans les grandes villes.
Je sirotai la boisson, un de ces cafés noir-dégueu qui vous font tant de bien au milieu de la nuit, le chemin à moitié entamé, à moitié terminé.
Je la vis près de l’entrée. À peine seize ans, me disais-je. Cheveux trop longs, jupe trop courte, des petites chaussures ridicules, cette espèce de godasse de merde pas chère qu’on trouve dans les magasins bon marché et qui ne protège les petits pieds de rien du tout.
Son tout était triste et mouillé comme un chat sauvage surpris par une averse.
J’attendis cinq minutes. Elle ne vint pas me demander du feu.
Elle regardait le parking devant comme si elle attendait quelqu’un. Tôt ou tard, le propriétaire allait lui dire de dégager.
C’est dingue à quel point un homme peut s’imaginer héros. J’allais lui proposer de m’accompagner jusqu’à Chicago. Si elle allait vers Chicago. Elle allait vers Chicago, certainement.
New York la boufferait crue et elle le savait. Les filles comme ça le savent toujours.
Je me levai.
Il était temps que je reparte. On m’attendait là-bas.
Je m’approchai de la sortie. Je ne dis rien à la fille, mais je sentis qu’elle tremblait.
Je ne la regardai pas.
J’ouvris la porte, délibérément.
Elle ne bougea pas. Je cours vers ma voiture et me jetai dedans.
Encore trois minutes et elle serait là, à côté de moi, encore tremblante, comme dans un film de Tarentino. Et je l’amènerais à Chicago.
Je démarrai la voiture. Le moteur me murmurait encore, les gouttes tombaient encore sur le pare-brise comme de grosses larmes stupides.
Pendant quelques secondes, je restai hypnotisé de nouveau par le wap-wap des essuie-glace, et la pluie, et la petite stoppeuse qui n’allait pas vers Chicago.