Les deux royaumes (Célestine)
Il était une fois deux royaumes jumeaux, perdus au fond d'une verte vallée. Les rois de ces deux royaumes étaient frères. Hélas, comme il advient parfois dans les meilleures familles, ces deux frères ne s'entendaient pas du tout. L'un était bon et bienveillant, l'autre méchant et hargneux.
Le roi gentil s'appelait Kipermé. Son frère se nommait Kidéfan.
Il courait les pires bruits sur le royaume de Kidéfan.
Mais ce n'étaient pas que des bruits. Là-bas, la terreur régnait, à cause du caractère innommable et irascible du souverain. Celui-ci, en effet, passait son temps à défendre, à interdire, arrosant son royaume de décrets liberticides, au gré de ses caprices, et ses sujets n'avaient plus le droit de rien faire. Défense de manger des pommes ! Défense de porter des vêtements bleus ! Défense cueillir les fleurs rouges !Obligation par ci! Interdiction par là ! Ce n'était pas une vie. Les gens se regardaient en chiens de fusil, et la suspicion et la crainte engluaient le royaume.
Dans le royaume de Kipermé, au contraire, les habitants étaient heureux et respectueux les uns des autres.
Quand le roi promulguait une loi, c'était toujours pour permettre quelque chose, pour ajouter un droit à ses sujets. Par exemple, jusque là, par une absurde tradition séculaire, seuls les marchands avaient le droit de traverser la ville de nuit. Mais c'est beau, une ville, la nuit. Le roi décida donc que tout le monde aurait ce droit, et les habitants firent une grande fête pour remercier leur généreux monarque. Quelques marchands essayèrent bien de râler contre cette loi qui leur paraissait anormale « vu que l'on avait toujours fait comme ça » et qu'ils se sentaient dépossédés d'un privilège ancestral. Ils organisèrent des défilés contre les promenades nocturnes pour tous » mais l'on fit comprendre aux rouspéteurs que cela ne leur enlèverait rien de permettre aux autres ce qui leur était déjà acquis, à eux.
« Que ceux qui veulent interdire ce droit aux autres s'en aillent au royaume d'à côté ! » dit le roi Kipermé d'une voix ferme.
Bien des années plus tard, l'on retrouva les descendants de Kipermé et de Kidéfan dans un royaume merveilleux dont j'ai oublié le nom, si ce n'est qu'il commence par F. Les premiers œuvraient toujours pour que chacun puisse se sentir reconnu malgré ses différences. Les seconds livraient toujours la même guerre aux premiers, voulant aligner tout le monde sous la même toise, reprenant même, ces derniers temps, pas mal de poil de la bête. Une bête puante et multiforme, nommée selon les moments, obscurantisme, ou intolérance, ou encore intégrisme.Et en voiture Simone, et en avant Guingamp...
Et les habitants, qui s'étaient habitués à la liberté depuis quelque générations, avaient l'impression de marcher sur la tête : car ce conte à dormir debout semblait ne jamais avoir de fin...
N'en cherchez donc pas : jusqu'à la fin des temps, les descendants du roi Kidéfan voudront imposer aux autres leur façon de penser...c'est dans leur nature.