La fuite (MCL)
D’habitude, j’aime les couleurs flamboyantes de l’automne, la lumière magique qui filtre à travers les branches, mais ce qui me ravit le plus c’est le craquement des feuilles mortes sous mes pas. Ce bruissement a toujours eu un effet apaisant sur moi. Mais pas aujourd’hui. Aujourd’hui, je donnerais tout pour une forêt dense, des arbres feuillus bien verts et surtout le silence d’un tapis de mousse et d’herbe tendre. A chaque pas, à la moindre brindille écrasée, je sursaute, le cœur battant. Je jette un coup d’œil par dessus mon épaule. Je ne les vois pas, mais je sais qu’ils sont à mes trousses. Je sens la sueur qui dégouline dans mon dos. La peur suinte par tous mes pores. J’ignore qui ils sont ni pourquoi ils me pourchassent. J’ai même oublié depuis combien de temps je cours dans ces sous-bois. Mon seul souvenir est cette petite route de campagne et la grosse berline noire qui me suivait. C’est au moment où j’ai dû faire une embardée pour éviter le ravin que j’ai compris qu’ils en avaient après moi. J’ai accéléré au mépris des limitations de vitesse et, dès que l’automobile a disparu de mon rétroviseur, j’ai bifurqué sur un chemin de terre. Je crois qu’ils ne m’ont pas vue, mais j’ai préféré ne pas reprendre la route. La voiture est restée cachée derrière un talus, à l’abri des regards. Je ne sais pas où cela me mènera mais je dois fuir à travers bois.
La peur au ventre, je continue à courir. Le souffle me manque, ma gorge est sèche malgré l’humidité qui commence à tomber. Le ciel s’assombrit. Bientôt il fera nuit. La fatigue qui me gagne peu à peu me fait trébucher à plusieurs reprises. Soudain, au loin, je perçois des lueurs, comme si la ville était tout près. J’ai vaguement conscience qu’elle ne devrait pas se trouver là, pourtant c’est bien un réverbère qui m’apparait, répandant son halo de lumière dans une ruelle sombre. Quelque chose ne tourne pas rond. J’ai l’impression qu’il s’agit d’un rêve, un cauchemar dont je ne parviens pas à émerger. Le danger est palpable, tout proche. Pour autant, j’ai le sentiment que je n’ai plus rien à craindre. La bise mordante ne me transperce plus. Une douce chaleur m’envahit progressivement. C’est comme si mes sens percevaient des sensations contradictoires. Je fais des efforts pour aller vers cette chaleur réconfortante qui me procure un sentiment de sécurité. J’essaie de faire le vide dans ma tête car je suis en train de comprendre que j’ai tout imaginé. J’ai beau à présent en avoir la certitude, je peine à remonter à la surface, à revenir à la réalité. Chaque fois, c’est un peu plus difficile. Un dernier effort. Un cri rauque monte de ma gorge, un cri de désespoir.
— Ma chérie, réveille-toi. Ce n’est qu’un mauvais rêve !
Je m’assois dans le lit complètement hébétée, en nage. Toujours ce même rêve qui revient, ces mystérieux poursuivants, dont je ne vois jamais le visage, dont j'ignore tout. Ce sont juste des silhouettes, des ombres malfaisantes. Au fil du temps, elles s’approchent de plus en plus près. Le danger est imminent. Et chaque fois, j’ai de plus en plus de mal à me réveiller. Je raconte mon rêve à Paul, des sanglots dans la voix. J’ai peur.
— Ne cherche pas à fuir. Au contraire, tu dois les affronter.
C’est décidé, la prochaine fois je les attends. Je dois savoir. C’est le seul moyen de vaincre mes démons. Mais si ce jour-là je ne me réveillais pas...