Participation de Stella No.
Comme chaque soir après le travail, je monte dans le train pour rentrer chez moi. Cela fait plusieurs mois maintenant que j’emprunte ce trajet, je ne fais plus attention à ce qui m’entoure. Le rituel est toujours le même : m’asseoir là où il y a une prise de courant, allumer mon ordinateur et profiter de cette heure perdue pour en faire quelque chose de productif : travailler.
C’est le lot de tous les cadres : le blackberry toujours allumé et l’ordinateur portable à moins d’un mètre.
Je suis un peu lasse de cette vie de dévouement au travail mais c’est le seul que j’ai trouvé après plusieurs mois de galère et si je me donne à fond maintenant, cela me permettra de gravir les échelons et de coordonner toute une équipe plus près de chez moi. Alors je fais contre mauvaise fortune bon cœur : je m’installe et allume mon ordinateur.
J’ai à peine lancé Mozilla qu’une alerte sonore se fait entendre en même temps qu’une petite fenêtre s’ouvre dans un coin de l’écran : Vous avez un message, indique-t-il.
J’ouvre très vite ma boite mail. Professionnelle évidemment. Et ce que je découvre me fait ressentir des émotions depuis longtemps refoulées : une légère pointe d’angoisse mêlée à l’inconfort de l’excitation. Je lis :
« Chère Stella,
Chaque soir, je vous observe prendre la même place, ouvrir votre ordinateur et travailler comme si la fin du monde en dépendait. Peut-être est-ce ce que vous faites d’ailleurs, auquel cas je vous prie d’oublier ce mail et de retourner à votre besogne. Si vous n’êtes pas en train de sauver des vies alors sachez qu’il y a tout près de vous, une personne qui voudrait vous détourner de votre écran et faire votre connaissance. »
Le mail n’est pas signé. L'adresse mail m'est inconnue.
Je lève doucement les yeux de l’écran et observe très vite mes co-transportés. Cela fait des mois que je ne les vois plus. Je suis incapable de dire lesquels sont les habitués et lesquels sont les occasionnels.
Il y a ceux qui dorment, ceux qui lisent, ceux qui parlent au téléphone et ceux qui discutent entre eux.
Il y a ceux qui ont un téléphone dans la main ou posé près d’eux. Mais aucun n’a d’ordinateur portable.
Ce jeu m’amuse et m’effraie à la fois.
Il y a cet homme qui ne fait rien de particulier. Est-ce lui ?
Il y a celui-là qui est accroché à son sac, comme si il allait très vite partir de sa place. Est-ce lui ?
Je m’attarde sur un groupe de trois jeunes filles qui se vernissent les ongles. Je souris de leur exubérance et de leur fraicheur.
Une nouvelle alerte sonore retentit :
« Chère Stella,
Vous chauffez. Continuez, vous y êtes presque. »
Je rougis immédiatement en me morigénant intérieurement. Quelle bécasse, je fais !
Il a raison, les mots m’excitent : je chauffe en effet.
Mais quel sens cela prend-il ? Je ne connais même pas leur auteur !
Il n’empêche que je suis prise au jeu maintenant.
Je porte mon regard de nouveau sur les trois jeunes femmes.
Et comme si quelque chose s’éclairait soudainement, j’aperçois un homme derrière elle. Je ne le vois pas vraiment : il est brun, c’est tout ce que je peux distinguer.
Je le fixe quelques instants: je suis dans l’attente d’une réaction de sa part.
L’alerte sonore se fait encore entendre :
« Chère Stella,
Si celui-ci est à votre gout alors je n’ai aucune chance. Je suis blond. »
Mes doigts tremblent et mon cœur bat rapidement.
Je me dépêche de faire de nouveau le tour des passagers, je les fixe rapidement les uns après les autres. Je ne vois pas d’homme blond !
La panique me prend, je ne comprends pas ce qu’il m’arrive.
Lle contrôleur arrive, interrompant cette montée d'angoisse.
Je lève les yeux : il est blond. Yeux bleus. Magnifique. Splendide.
J’en reste sans voix. Pas lui :
- Chère Stella, il était temps que vous leviez les yeux vers moi. Chaque soir, je vous demande votre carte. Chaque soir, vous me la tendez sans même me regarder.
Demain, je ne travaille pas mais je prendrai ce train. Et si vous êtes d’accord, pourrai-je m’asseoir avec vous ?
Il a un sourire franc, une petite fossette sur la joue et ses yeux pétillent de malice après le jeu qu’il vient de m’imposer.
Les papillons dans mon ventre sont de plus en plus pressés d’être libéré alors je réponds avec un petit sourire :
- J'ai votre adresse e-mail, je vous enverrai un message.