HERVÉ (joye)
C’est vrai que je les avais soigneusement choisis, mes témoins. La Nanette était stupide, certes, mais pas tout à fait nulle. Elle n’allait pas tout gober tout de suite, non. Alors, quand Colette et Fifine acceptèrent de m’aider, j’étais content. Les deux piliers de la maison Bonheur étaient plus infaillibles que le Pape lui-même, et elles aussi en avaient marre elles aussi de La Nanette et ses manières imbuvables. Il était temps qu’on lui apprenne un truc.
Il m’avait fallu un moment pour la trouver, mais la combine était simple. Un jour, ma petite-fille passa me voir et m’apporta, comme je lui avais demandé, la vieille valise que j’avais héritée de ma grand-tante Olive. D’un cuir douteux – moi et mes sœurs disions qu’elle l’avait fait confectionner de la peau de Marcel, son caniche défunt. On rigolait bien ensemble, moi et mes sœurs, comme je les regrette…
Bref, bien sûr que La Nanette fut déjà au courant. Comme d’habitude, elle entra dans ma chambre sans frapper, en train de fredonner un de ces stupides airs de sa jeunesse lointaine. Je ne sais pas ce que je détestais plus, sa drague fade et moisie ou sa voix graveleuse qui grattait mes oreilles.
Alors, je savais que La Nanette ne s’attarderait pas à envahir ma chambre. Elle se retenait à peine, et je sus qu’elle avait entendu la conversation que j’avais rédigée pour Colette et Fifine.
- Ouh, c’est quoi, cette valise-là, monsieur Régis, vous partez en vacances ? Avec qui ? Et où ? Une croisière peut-être, ah, comme j’adorerais partir en croisière, ma foi, quand j’avais vingt ans à bord la Queen Mary, ah, oh, je vous dis, monsieur Régis, je rougis de honte, non, je vous le jure, de hooonte, quand je pense à ce que me disaient tous les jeunes hommes, ouh ! Et quand je…
- Non, en fait, c’est ma Valise Enchantée.
- Une valise enchantée ? Mais vous plaisantez, monsieur Régis. Ça n’existe pas, une telle…
- Oh, si, je vous l’assure, madame. Colette et Fifine vous ne l’ont pas dit ?
Je savais que La Nanette ne conversait jamais avec les résidentes sauf pour leur jeter quelques remarques narquoises sur une erreur de toilette, ou leurs cheveux gris, ou une nouvelle ride, mais je savais aussi qu’elle guettait chaque mot qu’elles échangeaient innocemment pour faire passer le temps.
- Ben si, monsieur, s’exclama la menteuse. Colette, Fifine et moi sommes d’excellentes copines ! Mais je pensais qu’elles bluffaient, et puis, vous savez, monsieur Régis, que ce n’est pas toute femme qui soit aussi discrète que moi-même ! C’était ce matin-même que je faisais remarquer à monsieur Colin que…
- Alors, vous êtes savez déjà que ma Valise Enchantée peut vous voir telle que vous êtes !
Je fis semblant de sourire modestement.
La Nanette me jeta le même regard que me faisait ma Lucie quand elle était encore en vie et elle s’inquiétait de ma santé. Comme elle me manque, ma Lucie, on rigolait bien ensemble !
- Mais monsieur Régis ! s’exclama La Nanette. Vous me racontez des balivernes !
- Non, non, madame, je vous l’assure !
- Mais…comment est-ce que ça marche ? Sa voix prit un ton curieux.
- Bin, la personne en question prend la valise, lui demande « Comment les autres me voient-ils ? » et on l’ouvre, et alors, on voit…
- On voit quoi ?!
- On se voit comme les autres vous voient ! La Valise Enchantée a déjà montré à Colette et à Fifine leur beauté exquise et – je soupirai – sexy !
- Donne-moi ça ! cria la vieille, excitée comme jamais je ne l’avais vue.
Elle se jeta sur la vieille valise, la saisit entre ses griffes et cria, rauquement, « Comment les autres me voient-ils ? »
Puis elle l’ouvrit.
Au contraire de ce que je pus dire plus tard aux responsables de la maison Bonheur pendant l’enquête, c’est vrai que je savais bien que la valise contenait le cadavre empaillé de mon vieux perroquet miteux.
Ah ! Mon cher Hervé ! Comme je te regrette…on rigolait si bien ensemble !