Mécréante (Adrienne)
On avait bien expliqué à la petite que dans la nuit du cinq au six décembre, il caracolait sur les toits, suivi de son fidèle Zwarte Piet chargé du sac plein de jouets pour les enfants sages.
- Tous les enfants du monde entier ? avait voulu savoir la petite.
- Oui, lui avait-on dit, en précisant une nouvelle fois : tous les enfants sages !
A six ans, la petite fille n’avait qu’une très vague idée de l’ampleur du monde et du nombre d’enfants qui l’habitaient – sages ou pas sages – mais elle se disait qu’une telle chose était impossible.
- Tous les enfants du monde en une seule nuit ? C’est impossible ! dit-elle.
- Mais si, c’est possible ! N’oublie pas que c’est un saint !
Les saints savent faire des miracles. C’est son institutrice qui le lui a dit.
- Près de la cheminée, a dit la maîtresse, vous mettrez une petite douceur pour saint Nicolas et une carotte pour son cheval.
- Chez moi, dit Bernadette, dont les parents étaient fermiers, on met une betterave pour le cheval!
- Chez moi, dit Catherine, fille de commerçants, on met une bière pour saint Nicolas et du sucre pour le cheval!
C’était sans doute pour ça que chez Catherine le saint homme venait déjà des jours à l’avance : chaque matin du mois de décembre, elle trouvait des friandises et des cadeaux à côté de la cheminée. En échange d’une trappiste brune.
Chez la petite, on ne mettait rien du tout, ni pour le cheval, ni pour le saint.
- Et pourquoi nous on ne met pas une bière pour saint Nicolas ?
- Mais réfléchis ! dit la mère. Il serait saoul, si tout le monde lui donnait une bière !
C’était vrai, bien sûr. Et alors il tomberait du toit ou se tromperait de cheminée.
- Et il passe vraiment par la cheminée ? demandait encore la petite.
- Mais oui, évidemment ! lui disait-on. Par où veux-tu qu’il entre ?
- Ben… par la porte !
- Mais la porte est fermée à clé, tu sais bien.
Oui, mais on a bien dit que c’était un grand saint ? et qu’il faisait des miracles ?
La petite réfléchit si fort que ça fait des plis au-dessus de son nez.
- Mais la cheminée, c’est sale !
- …
- Et le feu brûle !
- …
La petite s’étonne que les grandes personnes n’aient pas pensé à tout ça avant elle. Devant la cheminée, il y a le poêle au charbon. On y fait du feu en continu, jour et nuit. Ne faudrait-il pas l’éteindre pour la nuit du cinq au six décembre ?
- Je t’ai déjà dit que c’est un saint, répète la mère avec de l’impatience dans la voix, alors va dormir et ne pense plus à rien !
Couchée dans son petit lit, l’œil rivé à la fenêtre par où elle voit les toits et les cheminées du pâté de maisons d’en face, la petite ne dort pas. Elle veut voir de ses propres yeux le grand saint, son cheval blanc, Zwarte Piet et le gros sac de jouets.
Elle veut bien croire qu’il existe, puisque effectivement le matin du six décembre il y a une poupée pour elle et des jouets pour le petit frère, mais cette histoire de toits et de cheminées, non vraiment, elle n’y croit pas !