Une vie de - bâton de - chaise (Joe Krapov)
Aujourd’hui, j’ai passé une bonne nuit. Le petit cabinet que l’on m’a octroyé dans l’aile gauche du château est décoré d’estampes représentant des scènes de chasse. La fenêtre donne sur la cour et le doux clapotis de l’eau dans les bassins a bercé mon sommeil de sa musique régulière.
Mais le soleil est arrivé et il va falloir que j’aille au travail. Ou plutôt qu’on m’emmène au travail. On n’a pas encore l’habitude par ici d’équiper tout un chacun de roulettes. Le skateboard et le patin en ligne attendront quelques siècles encore.
On me prend donc par les bras et l’on m’emporte avec aisance car je suis assez légère vers le lieu de spectacle où je vais faire mon office. Ma participation au show est à vrai dire assez minime car je suis du genre statique.
C’est l’autre emperlousé qui fait tout avec le petit Chose et les deux orphelines. A peine a-t-il paru que l’on se presse autour de lui, qu’on s’empresse de savoir s’il a bien dormi, si les bijoux de la famille sont toujours bien conservés, s’il va bien.
Ca, pour aller, il va. Il y a même des jours où il va tellement bien que j’ai envie de crier pouce. Et quand il ne va pas, ce sont ses coaches qui crient "pouce" mais avec deux esses. A la fin du spectacle tout le monde l’applaudit. Il n’y a pas de cérémonie de remise des prix. Ma participation au show me vaut une médaille de bronze mais j’aimerais bien qu’on me la remette avec un peu plus de respect.
Je ne demande pas la Lune, quand même ! Je l’ai déjà. Simplement, comme Diogène en son tonneau, je rêve que les plus grands s’ôtent de mon soleil. Vouloir s’élever, dans la vie, vouloir aspirer à la pureté des cîmes, à la grandeur des pins des Landes plutôt qu'à celle des rupins de Versailles, ça n’est pas un crime d'alèse-Majesté ? Si ? Le quotidien est parfois si ennuyeux et trivial pour les magistrates du siège ! La poule au pot tous les dimanches, ça c’est un programme qui m’aurait plu, bien davantage que ce « les tas, c’est moi » auquel je suis condamnée, percée jusques au fond du cœur d’une atteinte imprévue aussi bien que mortellement pestilentielle.