LA BERGERE (EVP)
Dans le boudoir.
Au début, il y avait des jouets : Un cheval à roulettes, une maison de poupée, des cubes de bois et même un petit théâtre. C’était la salle de jeu de la petite. Sa mère, la princesse, m’avait commandée à un ébéniste de renom. Déjà fort malade, elle se réfugiait dans mes bras pour voir jouer l’enfant si jolie. Après sa mort, je fus poussée dans un coin, mais je pouvais toujours voir les jeux trop sages et la solitude de la fillette. Quand elle eut sept ans elle partit chez les Ursulines et pendant huit années je m’empoussiérais dans ce coin sombre.
Dans le boudoir.
Elle revient, elle a quinze ans, elle est si belle ! La pièce est toute refaite, blanche et pimpante.
Des maîtres italiens ont festonné de douces guirlandes fleuries et de putti, les boiseries. Pour mon bonheur, mon crin a été refait et j’ai un nouvel habit de shantung bleu azur. J’accueille à présent dans mes bras chantournés le corps si délicat. J’entends ses soupirs et son trouble, la moiteur odorante de la chemise de baptiste qui s’affale sur moi, quand elle regarde dans la psyché, juste un instant, sa poitrine déjà ronde et, plus bas, les boucles cuivrés. Vite, elle se recouvre et s’en va se meurtrir les genoux devant le crucifix.
Dans le boudoir.
A peine les vœux échangés, le festin même pas encore commencé, il a exigé de recevoir tout de suite sa virginité, sa brutalité m’a fait trembler. En trois minutes il l’avait violée. Il a serré dans ses grosses mains ses joues et sa bouche qui avait saignée pour ne pas hurler : « Dans dix minutes, je vous veux à mes côtés, fraîche et souriante, comme il convient à une mariée. »
Dans le boudoir.
Elle était venue s’y réfugier, grosse de quatre mois, et quand elle s’est assise sur moi, j’ai pu voir les blessures, les bleues qui la couvraient. Nous objets, qui n’avons ni vie ni âme, nous voyons tant de choses effrayantes…A l’ instant où elle s’est pliée en deux sous le coup de la souffrance, j’ai su déjà que l’histoire était terminée. Elle tomba en avant sur le joli gobelin, le sang s’échappant de son ventre. Pas un cri, pas un hoquet. Quant il monta, après lui avoir hurlé trois fois de le rejoindre en bas, tout était imbibé et même mes pieds….
Dans le boudoir.
On a ôté le tapis, une servante a longuement brossé le parquet au point de Hongrie. On a recouvert de toile blanche la psyché, la table de toilette, mon assise, mon médaillon et mes bras chantournés. On a fermé les volets et tourné la clef.
On a oublié de nettoyer le dessous de mes pieds.