Manquerait plus qu'ils l’emportent au paradis ! (Poupoune)
Cette histoire de fin du monde me contrarie au plus haut point.
J’ai toujours vécu avec la certitude que tôt ou tard, d’une manière ou d’une autre, les méchants seraient punis et les gentils vengés. Et je ne parle pas de justice divine ou d’un quelconque délire mystique, n’est-ce pas ? Je parle de bons vieux règlements de comptes entre vivants : je me suis toujours dit que les mauvaises personnes qui ont croisé mon chemin et m’ont fait du mal croiseraient fatalement, un jour ou l’autre, le chemin de quelqu’un de moins bonne poire ou de plus revanchard que moi, et qu’ils paieraient une bonne fois pour toutes pour tout le mal qu’ils avaient pu faire auparavant. A moi, entre autres. Alors je ne me suis jamais donné la peine de la vengeance, laissant le soin à la victime de bout de chaîne d’assouvir la vengeance ultime qui solderait les comptes pour tout le monde.
Sauf qu’avec cette satanée fin du monde qui arrive à grands pas, c’est toute ma théorie qui tombe à l’eau et je trouve profondément injuste que ces sales types, qui ont semé douleur et chagrin toute leur vie, puissent bénéficier exactement du même traitement que leurs victimes et mourir comme tout le monde – comme moi, merde ! – sans souffrance particulière et sans même avoir à comprendre qu’ils crèvent pour leurs méfaits. C’est inacceptable pour les innocents, pire encore pour leurs victimes et insoutenable pour moi.
Résultat ?
La plupart des gens attendent cette fin du monde comme on imagine : les insouciants font l’amour dans les rues, les angoissés se suicident, les riches se disputent les places dans des fusées dont personne ne sait où elles pourront bien se poser quand le monde aura disparu, les pauvres se félicitent de n’avoir rien à perdre, les optimistes dévalisent les supermarchés en cas de survie, les pilleurs pillent, les vandales vandalisent, les poètes rimaillent à qui mieux mieux pour être celui qui aura écrit les derniers vers de l’humanité, les bons vivants ripaillent, les sceptiques vont au turbin comme si de rien n’était pour ne pas se faire virer au cas où on ne sait jamais, et moi… Moi je me retrouve à rechercher tous les nuisibles qui ont attenté à mon bien-être un jour, pour être sûre qu’ils paient comme il se doit pour le mal qu’ils ont fait avant qu’il soit trop tard. J’avais déjà une bonne vieille dent contre eux, mais alors là je leur en veux carrément à mort de me gâcher ma fin du monde. Moi qui suis plutôt bonne fille, me voilà réduite à passer mes derniers jours à traquer, violenter, torturer… et malgré l’indéniable satisfaction du devoir accompli à chaque connard que je débusque, à chaque ongle que j’arrache, à chaque doigt que je casse, à chaque testicule que je broie, je ne peux m’empêcher de penser qu’à m’interdire ainsi de profiter de cette fin du monde, c’est encore eux qui me font bien plus de mal que je ne leur en ferai jamais.
Franchement, il est temps que ça s’arrête.