Participation de Mamido
Papa, je n’ai pas retrouvé la clé du vieux pigeonnier. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir essayé
Tu l’avais si bien cachée que même toi, tu ne savais plus dans quel endroit la chercher. Il faut dire, que ces dernières années ta mémoire te jouait des tours, elle s’était quelque peu … comment dire… embrumée.
Il y a longtemps, tu avais trouvé que l’endroit était devenu dangereux. Le plancher était vermoulu, ses planches disjointes, posées sur une charpente qui menaçait de s’écrouler. Tu nous en avais interdit l’accès et peu confiant en notre capacité à t’obéir, tu avais enfoui la clé quelque part. Et puis les années s’étaient écoulées, jusqu’à oublier ce qu’il pouvait bien y avoir dans ce vieux pigeonnier.
Lorsque cet hiver tu nous as quitté, il a bien fallu aller voir.
Ce n’est pas sans un certain émoi que j’ai grimpé la petite échelle de fer qui menait au palier du petit pigeonnier. Je me suis penchée sur la grosse serrure dont on a perdu la clé et par le trou, j’ai regardé. Tout était comme dans mon souvenir, rien n’avait changé et j’ai cru un instant que le temps s’était arrêté, j’ai soudain été projeté à la période d’avant que tu en ais perdu la clé. Un temps où j’avais douze ans et où j’allais me réfugier dans le vieux pigeonnier, comme toi avant moi lorsque tu étais enfant.
J’ai vu le grand fauteuil d’osier placé sous la lumière du petit cafuron* où je m’installais pour lire les livres que tu avais lu avant moi, au même âge et qui étaient rangés là sur l’étagère : tous les Jules Vernes, les Alexandre Dumas mais aussi HG Wells, E Rice Burroughs, Jack London… Et encore les illustrés : Zig et Puce, Les Pieds Nicklés, Le petit vingtième avec Quicke et Flupke… des trucs de garçons mais que je dévorais avec passion dans la douillette pénombre du petit pigeonnier.
Comme il fallait bien entrer, Simon, ton petit-fils a donné un grand coup de pied dans la porte et la vieille serrure a cédé. Nous nous sommes avancé avec prudence, chacun notre tour, sur le vieux plancher qui, malgré tes crainte, a tenu bon et supporté notre poids. Quand j’ai voulu les feuilleter, les vieux illustrés se sont effrités et mon cœur s’est fendu. C’était comme si tu t’effaçais un peu plus encore. Soudain, le courage m’a manqué. J’ai tout reposé pour m’en aller et là contre le mur près de la porte, j’ai vu le petit vélo blanc que tu m’avais offert, pour mes cinq ans. Je me suis souvenu de mon ingratitude à ton égard ce jour-là. Je n’avais pas pu cacher ma déception car j’avais imaginé qu’il serait rose…
Et alors là, au seuil du vieux pigeonnier, elles se sont enfin écoulées, toutes les larmes que je n’avais pas pu répandre au moment de ton décès.
*Cafuron : lucarne (parler régional, Rive de Gier, 42)</p